1241 - Sur une équivalence de John Stuart Mill

N. Lygeros

Dans La Nature, John Stuart Mill est amené à l’équivalence suivante : « Tout éloge de la civilisation, de l’art ou de l’invention revient à critiquer la nature, à admettre qu’elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l’homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer. » Cette expression aussi limpide est certes difficile à accepter à une époque où l’absence d’idéologie et de doctrine a conduit des personnes vers le mouvement écologique afin de se donner l’impression de croire en quelque chose. Pour notre part, John Stuart Mill est bien plus proche de ce que nous appelons le fondamental et l’essentiel. Cependant il ne s’agit aucunement d’un but à atteindre. C’est simplement un point de référence logique par lequel il faut passer dans cette recherche du rôle de l’homme dans le monde. Avant de poursuivre nous voulons tout de même signaler que son équivalence n’est pas seulement un truisme pour la philosophie et même une tautologie pour les mathématiques, si nous sommes dans un cadre analytique où l’homme et la nature s’affrontent. Pour notre part, nous désirons mettre en évidence la puissance de cette équivalence dans un cadre synthétique qui permet un raisonnement holistique. En effet si nous ne voyons plus dans la paire homme-nature une opposition mais une synergie évolutive alors l’équivalence de John Stuart Mill prend un tout autre sens. Si l’homme est effectivement considéré comme le résultat d’un changement de phase critique et comme expression noétique d’un combat entre la nécessité et le hasard ou plus simplement entre l’intelligence et l’entropie alors nous voyons émerger un nouveau champ ; une structure ouverte qui permet de donner une nouvelle herméneutique à la notion de nature via celle de l’homme. Nous passons ainsi d’un cadre statique qui engendre un conflit à un cadre dynamique qui permet une création. L’évolution, non pas en tant que théorie mais plus simplement en tant que fait, dans une situation hors équilibre où la créativité et la diversité sont rendues possibles par l’existence de la complexité, représente le substrat du changement de phase critique. Avec la prise de conséquence de l’existence et de sa finitude par un élément de la nature nous avons une modification majeure de l’ontologie de la nature. La nature n’est plus seulement, elle pense aussi et entre autre à son entité. Elle ne se modifie pas nécessairement à l’avantage uniquement de l’une de ses parties car elle est consciente que les solutions individuelles aux problèmes globaux n’ont un sens que très réduit temporellement. Elle doit alors s’appuyer sur des raisonnements collectifs qui ne sont pas seulement le résultat d’une suite d’évidences mais d’arguments contradictoires parfois, qui nécessitent bien souvent l’utilisation de stratégies intelligentes qui sont peut-être le résultat d’un assemblage complexe de simplicités mais jamais d’idées simplistes. Dans ce nouveau contexte plus noétique que simplement réaliste au sens politique du terme, l’équivalence de John Stuart Mill devient un véritable transport de structure. Cette équivalence locale devient une inversion globale qui permet d’envisager les choses dans un champ nouveau où nous ne parlons plus de recherches de corrections des imperfections inhérentes à toute structure incomplète mais de libertés et de choix qui doivent être exploités pour redéfinir l’essentiel à savoir la nature de l’homme.