1601 - Entre l’esprit et l’essence de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

En rédigeant le Traité sur la peinture Leonardo da Vinci est conscient de l’originalité de son entreprise. Il prépare son édition avec soin car il désire traverser le temps avec la qualité de son œuvre. Celle-ci représente l’équilibre entre la durée de sa propre existence et celle de sa créativité. Elle se trouve donc entre l’esprit et l’essence de Leonardo da Vinci. Il n’écrit pas pour écrire, il écrit pour laisser une trace qui sera la marque du maître. Il ne se compare pas aux érudits des sciences sophistiquées, il les méprise car il est incomparable. Et afin d’être le plus clair possible quant au cadre de l’écriture de son traité, il rédige une note contre les abréviateurs. Il ne tente pas de résumer la science car il respecte la complétude.

« A quoi bon, sous prétexte de résumer les éléments d’un enseignement complet, laisser tomber la majeure partie de ce qui le compose. »

Il crée uniquement pour l’honneur de l’esprit humain sans se contenter des conventions sociales.

« Et tu veux, avec la foule des sophistes, t’abuser et abuser les autres avec toi en méprisant les mathématiques qui contiennent la vérité sur les objets de leur ressort ? »

Il recherche dans l’art, les mathématiques, car il perçoit combien celles-ci sont aussi un art. Il ne parle de science que lorsque son support mental et son substrat fondamental sont les mathématiques. Dans son esprit et dans son essence, seule la véritable création a un sens. Cette création qui n’écarte que la nécessité, une nécessité plus grande encore que celle d’exister. Aussi il se révolte contre l’injustice de la pédanterie.

« Et tu t’imagines avoir fait un miracle quand tu as ruiné l’ouvrage d’un esprit spéculatif ; et tu ne te rends pas compte que ton erreur est de dépouiller l’arbre de l’ornement de ses branches, couvertes de feuilles, mêlées de fleurs embaumées et de fruits, et de prétendre qu’il faut en faire des planches nues. »

La bassesse des critiques l’affecte mais il se défend courageusement sans jamais se détourner de son œuvre à savoir comprendre l’essentiel. Il semble pour les autres perdre son temps en examinant des problèmes futiles et même superfétatoires. Seulement Leonardo da Vinci ne travaillait pas dans un temps social au service de la société mais dans un temps humain au service de l’humanité. Car cette notion de la perte du temps est tout à fait contextuelle et ne peut s’appliquer à un esprit aussi inventif et subtil que celui de Leonardo da Vinci. Car tout ne fonctionne pas de manière linéaire et spécialisée pour des créateurs de cette envergure. Des objets d’étude apparemment futiles peuvent très bien être la source d’idées hautement efficaces dans d’autres domaines. Aussi résumer et abréger un traité comme celui sur la peinture, ne relève pas de la gageure mais de l’idiotie. Car il n’existe pas de ligne de compression évidente.

Tout est entrelacé et enchevêtré dans ce type d’œuvre car le fonctionnement organique est basé sur un réseau complexe de schémas mentaux. Aussi la description la plus courte de l’œuvre de Leonardo da Vinci, c’est l’œuvre elle-même car son esprit et son essence sont incompressibles.