1874 - Le programme universel de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Dans la pensée de Leonardo da Vinci comme nous l’observons à travers son œuvre, il existe un programme universel. Ses thématiques ne sont pas simplement le résultat d’un choix qui proviendrait d’une logistique de l’acquisition de connaissances. Son point de vue est autre. Il est plus global et plus complet. Il s’articule autour d’une recherche des universaux et d’une création de paradigmes. Il n’observe, ne dessine, ne réalise la partie sans comprendre, saisir, pénétrer le tout. Ainsi les éléments de ses tableaux ont un caractère structurel incontestable. Il ne se contente pas d’un naturalisme étroit. Le monde est son propre modèle aussi il désire le comprendre en profondeur. Ses tableaux sont une synthèse à l’image du monde. Leurs parties doivent être approfondies afin de mettre en évidence leurs relations systémiques. Pour lui, le réalisme n’est qu’un moyen et non une fin en soi. Il recherche à travers lui les raisons. Si sa technique s’intéresse au comment, son art ne se préoccupe que du pourquoi. A travers la réalité, il recherche la noosphère. Via l’abstraction, la conceptualisation et la construction, il opère une abduction créative pour élaborer le modèle de la cause et la théorie des relations entre les entités qui composent son savoir, son œuvre ou encore ses tableaux. Il ne faut pas examiner le détail sans essayer de le comprendre à travers ses multiples études. Aussi il ne faut pas s’étonner de lire dans son manuscrit R, le pendant de la fameuse inscription qui interdirait l’accès à l’Académie de Platon à ceux qui ne savaient pas la géométrie.

« Ne lise pas mes principes qui n’est pas mathématicien. »

Car c’est uniquement en analysant ses tableaux comme une démonstration mathématique que nous pouvons comprendre leur profondeur. Sans cela, le tableau n’est qu’une surface technique et au lieu d’avoir et au lieu d’ouvrir sur un univers mentalement organisé, il se referme comme une porte. En réduisant à néant la profondeur structurelle du tableau, celui-ci devient un mur hermétique. Ensuite toute herméneutique ne peut être que superfétatoire. Si les détails sont simples, les analyses simplistes ne peuvent en venir à bout. Car ils appartiennent un programme universel. Nous pourrions croire qu’il obéit à une tendance énumérative à l’instar de la poésie médiévale pu encore celle de la Renaissance mais il n’en est rien. Le penser serait réduire la combinatoire à une énumération, la théorie des groupes à un ensemble. Leonardo da Vinci structure, développe, arrange, réordonne des éléments qui semblent hétéroclites au profane et son éclectisme ne trompe que les spécialistes coincés qui ne peuvent concevoir le monde que de manière analytique et pour qui la vision holistique du monde n’est pas uniquement une utopie mais un fait impensable qui appartient au non être de Socrate. Leonardo da Vinci conscient d’être une matière à penser, œuvre pour penser la matière et à travers la diversité de celle-ci, il recherche l’unité de la pensée. Tel est son programme universel.