2084 - Chypre, Cilicie et la vision de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Nous sommes désormais habitués à associer à l’île de Chypre et à la région de Cilicie, la souffrance et l’occupation. Seulement il n’en a pas toujours été ainsi comme le prouve cet extrait de Leonardo da Vinci :

« Tu feras des escaliers sur les quatre faces pour accéder à une prairie naturelle posée sur le rocher ; on pourra l’évider, le faire porter en façade sur des piles, et l’ouvrir en dessous en une large portique où l’eau se répandra dans des bassins de granit, de porphyre, de serpentine, au milieu d’absides semi-circulaires, et débordera avec une petite île au centre et, au milieu de celle-ci, un bosquet épais et sombre. Que l’eau en haut des colonnes se dresse dans des vases déposés à leur base, d’où s’écouleront de petits filets.

De la côte de Cilicie, en allant au midi, on découvre les beautés de l’île de Chypre.

Du littoral méridional de Cilicie, on voit vers le sud la belle île de Chypre, ancien royaume de la déesse Vénus ; beaucoup, attirés par sa beauté, ont brisé leurs vaisseaux et leurs haubans sur les récifs, au milieu du tourbillon des eaux. »

Nous avons d’un côté un paradis d’architecture et de jardins et de l’autre les naufrages. Cet ensemble paradoxal au premier abord, explique l’histoire de Chypre et de la Cilicie. Les mots de Leonardo da Vinci sont limpides. Il y a l’attrait indiscutable de la beauté mais aussi la dureté de cet attrait qui peut se transformer en véritable catastrophe. Seulement, indirectement, Leonardo da Vinci, à travers sa vision de peintre qui recherche les singularités, nous suggère qu’il existe un aspect géostratégique caché. En effet, la proximité de la Cilicie et de l’île de Chypre engendre, pour ainsi dire, un passage qu’il est nécessaire de contrôler. Aussi il est mois étrange qu’il n’y parait au premier abord, que la Turquie possède à l’heure actuelle, ces deux côtes. En effet, elle occupe la Cilicie depuis 1923 et le nord de l’île de Chypre depuis 1974. Mais elle ne se contente pas de cela. En effet, les territoires occupés de l’île de Chypre détiennent le record mondial de densité militaire et la partie de la Cilicie qui se trouve en face, possède le plus grand nombre d’unités militaires de la Turquie. Juste après vient le tour de la Thrace orientale. Cette situation géostratégique est sensiblement différente de la vision initiale de Leonardo da Vinci mais elle est, d’une certaine manière, une conséquence géostratégique de celle-ci. Nous devons donc être conscients de ce que voit le regard d’un génie universel si nous voulons comprendre l’avenir mais surtout si nous voulons lutter contre ses conséquences négatives. Ces occupations de la Turquie sont avant tout des occupations de nature territoriale et non humaine. Aussi nos revendications doivent se situer à ce niveau. L’humain doit être à la base de notre action et non la cible de celle-ci. C’est uniquement ainsi que nous retrouverons ce qui nous appartient.