2225 - «Cachez ce sein que je ne saurais voir»

N. Lygeros

La nouvelle interdiction du Ministère de l’Education de la Turquie ne fait que confirmer la même tendance rétrograde. Des spécialistes tentent de nous convaincre que les choses évoluent en Turquie et grâce à ceci nous devons envisager sereinement son entrée au sein de l’Union Européenne. Cependant les évènements viennent les contrarier et les contredire. La Turquie avait déjà interdit le livre d’Antoine de Saint-Exupéry intitulé Le Petit Prince car elle l’interprète comme une insulte à la personne de Kémal. Maintenant, elle retire l’image du tableau d’Eugène Delacroix : La liberté conduisant le peuple car la femme a une poitrine visible. Et il est difficile pour des hommes de culture française de ne pas penser à la célèbre réplique du Tartuffe de Molière. Comment ne pas voir qu’il s’agit d’une superbe hypocrisie ? Lorsque le peuple arménien réclame la reconnaissance du génocide, les indifférents crient qu’il exagère et qu’il faut oublier le passé. Lorsque le peuple chypriote réclame la reconnaissance de Chypre et la libération des territoires occupés, les indifférents pensent que ce n’est pas nécessaire de se révolter. Lorsque le peuple grec souffre pour les îles de Imvros et de Ténédos ainsi que le Patriarcat de Constantinople, les indifférents considèrent que c’est déplacé. Seulement l’évolution turque emporte même l’indifférence sur son passage car elle est rétrograde. Chaque nouvelle décision est une interdiction et le code pénal ne fait que s’enrichir à l’aide de lois qui vont à l’encontre des droits de l’homme.

Nous nous obstinons à ne pas voir la réalité turque et nous ne pouvons admettre qu’elle diffère radicalement de la mentalité européenne. Quelle autre preuve nous faut-il encore ? Nos craintes au sujet des menaces économiques sont-elles les seules qui nous touchent ? Même si nous sommes indifférents aux autres peuples et nous ne pouvons réaliser leur souffrance et leur grandeur, nous sommes conscients de notre culture et de sa valeur. Eugène Delacroix n’est pas un détail dans la peinture française, c’est un sommet. Et il est d’une autre nature que celle de Saint-Exupéry. Faudra-t-il que la Turquie interdise aussi Le bourgeois gentilhomme de Molière ou le Comte de Monte-Christo de Dumas en raison d’allusions possibles à sa barbarie ou sa fourberie, pour que les indifférents se révoltent ? Nous ne le pensons pas. Ces derniers ne réaliseront ce qui se passe que lorsqu’il sera trop tard. L’Important est ailleurs. Ceux qui aiment la culture française, ceux qui sont conscients de son apport dans le domaine des droits de l’homme doivent réagir afin que tout ne soit pas permis. Les prétextes religieux ne peuvent anéantir les hommes. Si les femmes ont des seins,ce n’est pas une honte. Au contraire ces derniers constituent un élément de leur beauté. A l’époque de Delacroix ce symbolisme était encore plus puissant que de nos jours et cela explique sa peinture. Nous ne pouvons tout réduire à néant sous prétexte de respecter les critères de chacun. Le crédo de l’Union Européenne c’est l’union dans la diversité et celle-ci nous a été offerte par la liberté de Delacroix. Telle est la leçon de l’histoire.