2579 - La conscience de Fiodor

N. Lygeros

« …une lutte sans merci, une lutte à mort, se livre en ce moment entre le Gouvernement et les paysans. L’année qui s’écoule (1933) nous a permis de donner la mesure de nos forces. Il a fallu une Famine pour faire comprendre qui commandait dans ce pays. Le système de la culture collective a coûté des millions de vies, mais il est maintenant solidement établi. NOUS AVONS GAGNE LA GUERRE… »

Discours de KATAIEVITCH, membre du Comité Central du PARTI.

Fiodor : Vous avez affamé un peuple tout entier.

Joseph : Nous avons purgé l’histoire d’une infamie.

Fiodor : Vous avez commis un crime contre l’humanité.

Joseph : Notre régime n’avait que faire de ces traîtres.

Fiodor : Des traîtres, les enfants de notre terre ?

Joseph : Leur existence était une trahison pour notre régime.

Fiodor : La famine ne conduit jamais au régime, seulement à la mort.

Joseph : Nous devions éliminer ces enfants.

Fiodor : Car ils étaient la mémoire de leurs parents ?

Joseph : Ils mangeaient notre blé.

Fiodor : Votre blé ? Leur labeur ? Votre blé ? Leur maigreur ?

Joseph : Leur labeur, c’était notre bonté. Leur maigreur, notre volonté.

Fiodor : Et leur malheur, votre brutalité.

Joseph : Aucune pitié pour cette vermine.

Fiodor : Cette vermine, c’était notre chair.

Joseph : La pourriture n’est pas humaine.

Fiodor : C’est votre crime qui est inhumain.

Joseph : Cette famine, c’est notre fierté, notre ultime vérité.

Fiodor : Ce sera aussi votre châtiment.

Joseph : Qui osera nous condamner ?

Fiodor : La conscience de l’humanité !

Joseph : Qui croit encore à la dignité humaine ?

Fiodor : Les combattants de la barbarie.

Joseph : Une bande d’impuissants.

Fiodor : Aucun puissant ne sera épargné par la justice de la mémoire.

Joseph : La mémoire est aussi humaine que l’erreur !

Fiodor : La conscience ne peut oublier.

Joseph : Alors nous oublierons la conscience.

Fiodor : Tant que les bourreaux ne seront pas condamnés…

Joseph : Vous lutterez contre le néant ?

Fiodor : Les morts ne cesseront de crier !

Joseph : Ils crient dans le vide. Nul ne les écoute.

Fiodor : L’humanité les entend et elle vous condamnera.

Joseph : Qui peut ramener un passé oublié ?

Fiodor : La mémoire du futur !