274 - Sur la notion de schéma mental

N. Lygeros

Une façon extrinsèque de déterminer un schéma mental, c’est de le considérer comme un substrat de la formalisation que constitue un modèle mental ainsi que nous avions présenté ce dernier dans notre article Du modèle mental à la théorie mentale. Dans cet article nous présentons une définition intrinsèque de cet élément fondamental.
Tout d’abord il faut préciser en quoi la notion de schéma mental est différente de celle de schéma “en anneau” que nous retrouvons dans les Catégories d’Aristote ou les Eléments d’Euclide. Le schéma “en anneau” est construit sur trois unités : (A) Enoncé d’une thèse (B) Démonstration (C) Répétition de la thèse validée. La troisième unité sera toujours absente du schéma mental en raison de son caractère rhétorique et redondant. En effet elle consiste en une répétition formelle qui est superfétatoire pour le penseur averti ou convaincu. La première unité ne sera quant à elle qu’uniquement esquissée puisqu’elle sera implicitement présentée dans la structure sous-jacente de la deuxième unité. En d’autres termes l’entité démonstrative sera l’essence du schéma mental.
Les constituants de base d’un schéma mental sont les prédicats élémentaires dont la valeur sémantique n’est pas difficile à établir. Chacun d’entre eux s’organise avec les autres via une structure en faisceaux en agissant sur son complémentaire plus ou moins directe. Cette structure des relations qui unit l’ensemble cohérent des prédicats élémentaires de l’argumentation démonstrative engendre un groupe logique qui apparaît comme la réalisation linguistique de la forme abductive que représente le schéma mental. Plus précisément au sein de la chaîne logique que représentent les concepts de déduction, d’induction, d’abduction (hypocodée, hypercodée et créative) nous pouvons mettre en évidence l’analogie suivante. Le schéma mental est à l’abduction ce que l’induction est à la déduction. Au premier abord cette analogie semble mettre en évidence la faiblesse formelle de ce nouveau concept. Cependant, ce serait tout d’abord oublier la puissance du raisonnement par récurrence quand le résultat à prouver est connu et ensuite que la faiblesse formelle représente en réalité un effort conscient d’établir une entité dont le fonctionnement est plus proche de celui du cerveau dans le sens où ce dernier établit des évaluations correctes à partir des éléments intermédiaires non nécessairement validés. Cette explicitation rend sans doute plus compréhensible le fait que la mise en évidence d’un schéma mental ne présuppose aucunement la facilité de son application effective et concrète dans un problème réel. En effet, certains points techniques dans le raisonnement global ne sont pas explicitement gérés par le schéma mental. Non pas en raison de la faiblesse de celui-ci mais au contraire en raison de sa capacité à se concentrer sur l’essentiel de l’information. Avant de poursuivre notre présentation intrinsèque du schéma mental considérons un problème échiquéen pour éclairer ce que nous venons d’écrire. Il s’agit d’un mat en cinq coups appartenant à un supertask. La position des pièces blanches est : Re6, Tg8 et h2, celle des pièces noires est : Rh4, h3, h5 et h7. Après un moment de réflexion sur la position, un premier élément générateur apparaît, à savoir la présence d’un effet de bord. Par ailleurs, la connaissance de la puissance de la tour et la nécessité d’un mat en cinq coups engendrent un second élément : la fonction singulière de la tour. Emerge alors le schéma mental suivant : auto-enclave du roi. La puissance des pions aliénée via l’effet de bord et la fonction singulière. Et son corollaire : le sacrifice de la tour pour créer le premier impact générateur de l’avalanche de coups forcés. Malgré tout, un simple déplacement de la position initiale du roi blanc met clairement en évidence que le schéma mental ne gène pas directement technique du tempo puisque dans ce cas, la révolution globale deviendrait impossible. Pour finir avec cet exemple, notons tout de même que la présente dynamique du schéma mental génère un flux tendu très contraignant sur les positions successives du roi qui permet de manière rétrograde de résoudre le problème initial. La mise en évidence d’un schéma mental apparaît donc comme la reconnaissance d’un motif dans une structure plus vaste non nécessairement ordonnée. Il ne s’agit donc pas d’une recherche exhaustive qui aboutit à son résultat via un processus classique d’essais et erreurs que nous pouvons formaliser par le backtracking ou le forward checking. La recherche d’un schéma mental qui est dans la lignée de l’explicitation d’éléments universaux doit à un modèle d’intelligence qui évolue de manière holistique c’est-à-dire avec un grand degré de liberté au niveau local afin de privilégier l’essor de phénomènes globaux. La formalisation informatique naturelle d’un schéma mental est donc plus proche du fonctionnement d’un réseau neuronal. Ce fait n’a en soi rien de surprenant puisque l’idée initiale de ce domaine était de simuler le fonctionnement cérébral. Néanmoins notre approche est fondamentalement différente dans le sens où nous ne recherchons pas une formalisation qui soit adéquate localement. Notre vision est essentiellement holistique. Car nous désirons un processus qui soit efficace par la conscience de ses faiblesses et non pour l’absence de celles-ci. L’activité mentale sous-jacente n’a pas une volonté de concurrencer efficacement une recherche exhaustive. Bien au contraire, conscients de l’impossibilité combinatoire de parcourir l’ensemble de l’espace de recherche, nous nous plaçons dans un cadre qui permet de découvrir des résultats essentiels et non l’essentiel des résultats. Ainsi la structure globale : schéma mental, modèle mental, théorie mentale n’a pas la prétention ni l’ambition d’être la réalité. Conscient de la faiblesse du modèle par rapport à celle-ci, la théorie mentale n’acquiert de sens véritable que pour la compréhension de l’isomorphisme cognitif de Sidis. Il ne doit donc pas être identique à la réalité puisque ceci est théoriquement impossible (car il sous-entend une connaissance absolue) mais identifiable à celle-ci. Nul besoin de rechercher l’identité d’entités si l’on ne peut trouver leur différence.
La notion de schéma mental représente donc la structure fondamentale d’une approche holistique basée sur le raisonnement non uniforme d’une part et l’isomorphisme cognitif d’autre part. Elle constitue par ce biais la base axiomatique d’une théorie méta-heuristique qui émerge des mathématiques cognitives : la théorie des schémas mentaux.