2832 - La remise en cause de la dynamique aristotélicienne par Archimède

N. Lygeros

Dans sa Physique, Aristote énonce diverses lois et en particulier un ensemble qui correspond à une théorie de la dynamique du corps solide. L’autorité d’Aristote était si grande dans l’Antiquité – et ceci est encore valable de nos jours pour des personnes non scientifiques – que rares étaient les chercheurs grecs qui tentaient de remettre en cause ses principes. Cette attitude a été très négative dans le domaine de la mécanique. Et l’une des plus belles preuves, c’est la difficulté traversée par Galilée pour établir ses propres résultats. Quoi qu’il en soit le génie universel d’Archimède ne respectait aucunement l’autorité d’une doctrine. Il étudia donc le texte d’Aristote, rechercha ses erreurs et proposa des solutions. Deux des lois de la dynamique aristotélicienne du corps solides sont les suivantes :

1)

La vitesse V d’un mobile est une fonction linéaire du rapport de force A à la résistance B, V = λ.A/B pour toutes les valeurs de A et de B telles que A/B reste supérieur à une valeur L marquant la limite inférieure de l’efficacité de la force A.

2)

Pour A/B ≤ L, la première loi n’est plus valable et nous avons alors V = 0.

Désormais, il est clair que ces deux lois sont fausses. Mais cela n’était pas une évidence à l’époque. Cependant le plus intéressant, c’est que Archimède ne s’est pas seulement contenté de démontrer de manière éclatante l’erreur d’Aristote mais il a aussi utilisé l’argument d’Aristote lui-même pour le mettre en défaut. En effet Aristote affirme que « si la force pouvait se diviser au-delà d’une certaine limite, il arriverait qu’un seul homme continuât à mouvoir un vaisseau déplacé habituellement par une équipe de plusieurs haleurs ». Et cette éventualité est totalement exclue par Aristote. Or c’est justement cette expérience de pensée que va réaliser « l’immortel » Archimède et ce, en présence du roi Hiéron II, dans le port de Syracuse. D’après Plutarque, Archimède utilise pour effectuer cette manœuvre un appareil nommé polyspaston.

D’après Proclus, nous savons que le navire était un trois-mâts destiné par Hiéron II au roi Ptolémée d’Égypte.

Ainsi Archimède réalise de manière tout à fait concrète un modèle mental de l’expérience fictive d’Aristote et parvient à démontrer avec brio l’erreur de ce dernier. Il met en place, au sens d’Albert Einstein, une expérience de pensée qui avec l’introduction de la poulie multiple, permet de diviser à volonté la force nécessaire pour effectuer le déplacement d’un solide. Il réduit ainsi à l’absurde une théorie physique qui n’était en réalité basée sur aucune expérience effective mais au contraire sur un système intuitif transformé en dogme par l’autorité de son concepteur.

L’approche d’Archimède pour contrer la doctrine d’Aristote n’est pas seulement révélatrice de son style mais aussi de sa mentalité. Il n’hésite pas à braver les interdits consensuels pour expérimenter de manière efficace et réaliser l’impensable. Il est capable de produire l’impossible car il ne se fie qu’à la nature et à son intelligence critique et créative.