3557 - Le peuple du temps

N. Lygeros

Il fallait cesser les chevauchées mortelles. Il fallait protéger les manants qui ne pouvaient plus résister à ces assauts barbares. Seulement qui pouvait lutter contre le prince noir? Certes il était nécessaire de contre-attaquer mais les moyens manquaient. Le contrôle de l’espace était complet. Le comte comprit qu’il ne restait plus que le temps pour manœuvrer. Ce fut ainsi que naquit dans son esprit le peuple du temps. Seule la légende pouvait résister à la conquête. Le champ de bataille n’existait plus. La guerre serait donc temporelle. Elle durerait cent ans. Elle serait donc plus longue que la vie des hommes. Chacun d’entre eux ne pourrait la supporter que durant quelques années. Aussi tous ces hommes devraient se donner le relais pour ne pas briser la ligne temporelle. Les ravages causés par le prince noir pouvaient être surmontés à travers l’action du temps, tout autre était vaine. Il fallait donc perdre du terrain et se retirer dans le temps. L’emprisonnement du roi ne pouvait aider les choses. Cependant, c’était l’unique façon d’atteindre l’affranchissement. Le comte savait que les liens n’étaient une libération qu’à travers la liaison. Tout ce temps, ils étaient tous liés à la terre et ceci avait été leur perte. Ils devaient désormais se lier au temps pour se libérer de l’emprise de l’espace. Les défaites n’étaient une leçon que lorsqu’elles engendraient un changement de tactique. Le maître de guerre était conscient du fait que nul n’avait encore conçu la stratégie du temps. Le peuple du temps n’était pas encore une abstraction, seulement une utopie. Et personne ne savait que cette utopie était l’avenir de l’avenir car personne n’avait encore pensé l’ensemble. Néanmoins le comte conçut l’impossible temporel. À cet instant, un homme qui connaissait les saveurs de l’orient, s’approcha de lui. Tout autre homme que le comte aurait trouvé cela incongru. L’inconnu le savait et il s’approcha avec d’autant plus d’aisance. Il apportait avec lui un mets délicat que les hommes de la terre de France n’avaient pas encore découvert. C’était du foie gras. Le comte accepta l’invitation et les deux hommes s’assirent à une table pour partager les secrets des civilisations. L’homme lui sourit car il était certain que le comte apprécierait le présent. L’hospitalité était sacrée. Toutes les civilisations en avaient conscience. C’était leur manière à elles de respecter l’étranger. C’était ainsi que le comte avait fait la connaissance de cet homme en terre sainte. Et c’était ce mets qu’il avait goûté lors de cette première rencontre. Depuis c’était une tradition entre eux. Avant de livrer un combat difficile et incertain, ils partageaient ce repas lorsqu’ils étaient en mesure de le faire. Ainsi ils s’inscrivaient dans le temps à travers ce rituel ancien. L’hospitalité avait été à la base de leur amitié. Et à présent que c’était la terre du comte qui était en danger, l’homme de la terre sainte était venu aider son ami comme ce dernier l’avait fait dans le temps. Ils étaient seuls dans cet espace barbare et pour mieux lutter, ils prenaient leur temps. Car le temps était avec eux comme le disait la légende. Le foie gras provenait de l’oie. Afin de respecter les interdits, le peuple de la terre sainte avait conservé cette tradition d’Egypte. Ils se regardèrent avant d’entamer la première tranche. Ils étaient conscients de l’importance de la chose car cette fois le combat serait inégal. Le prince noir était trop fort. Il fallait donc repenser toute la stratégie de la contre-attaque. Cependant, auparavant il fallait respecter le repas.