36 - Analyse de Quand les poules auront des dents de S. J. Gould

N. Lygeros

Réflexions sur l’histoire naturelle

Le ton du livre est donné par le titre. Le style pénétrant de l’auteur est irrémédiablement associé à la franchise et l’humour qui sont souvent deux qualités présentes chez les grands scientifiques ; et S. J. Gould en fait partie. Il est vraiment ce dont tout scientifique digne de ce nom devrait être. En lisant ce petit livre dense en réflexions et informations, on se souvient avec nostalgie de la façon d’être d’un autre scientifique, je veux parler de Feynman.

Ce livre est un recueil, admirablement écrit, d’essais. Son contenu hétéroclite pourrait surprendre un lecteur non averti mais un fin gourmet en matière de pensée ne saurait se tromper, il s’agit là de contributions toutes convergeant vers une seule direction au nom mythique : l’évolution.

Sept parties composent cet ouvrage, chacune d’elles regroupant des articles traitant de sujets proches. Dans la première partie qui s’intitule, des bizarreries raisonnables, l’auteur s’interroge sur la taille des individus males et femelles fournissant des exemples – qui raviraient plus d’une féministe, bien que l’évolution soit aussi passée par là et qu’actuellement cette espèce soit en voie de disparition – où les males sont réduits à leur plus simple expression biologique c’est-à-dire des fournisseurs de sperme ! Ensuite à partir de l’exemple des insectes il nous fait découvrir l’amoralité de la nature. Et ce sont les oiseaux qui lui donne l’occasion de montrer qu’une action apparemment “stupide” est en fait le fruit raisonnable d’une adaptation.

Dans la deuxième partie deux articles tranchent nettement par rapport aux autres, l’un concerne les vers de terre et l’autre le dossier Vavilov. Le premier illustre admirablement bien la vérité de l’affirmation de Lyell: “l’âge considérable de notre planète nous permet amplement de considérer les résultats observés, aussi spectaculaires soient-ils, comme la simple addition de petits changements intervenus sur d’immenses périodes.” Le deuxième très documenté analyse avec précision les raisons qui ont poussé Lyssenko à s’en prendre à Vavilov pour critiquer l’évolution qu’il accusait d’être un produit de la société bourgeoise.

Les parties 3, 6, 7 qui parlent abondamment de biologie – le mythe de la hyène, l’absence de roues chez les animaux (avec tout de même de beaux contre-exemple dans le domaine des créatures unicellulaires obtenus grace aux remarquables travaux de S. Tamm), les dents des poules (!), l’extinction des dinosaures et les rayures de zèbres – et quelque peu techniques méritent un survol attentif de la part des non-spécialistes.

Mais ce sont de loin les parties 4 et 5 qui sont les plus intéressantes, l’analyse du rôle de Teilhard de Chardin dans le scandale paléontologique de Piltdown est éblouissante de précision, le célèbre théologien jésuite est astucieusement pris dans les filets de cette enquête scientifique. Quant à l’ambiguë relation qui existe entre la Science et la religion – réponse cynique aux accusations des détracteurs de l’évolution, alimentée par la démystification du rocambolesque “procès des singes” – et entre la Science et la politique – dénonciation de l’utilisation frauduleuse des tests de Q.I. – elle est admirablement étudiée par l’auteur qui donne le meilleur de lui-même sur ses sujets de prédilection !