732 - De la linéarité comme symbole d’humanité

N. Lygeros

Le caractère diachronique n’est pas nécessairement une instabilité temporelle du point de vue synchronique. Bien au contraire à travers sa permanence, il peut être une source de stabilité et un objet de référence. Ainsi la création de la droite, cette ligne sans courbure, dans un espace euclidien représente un amer dans l’évolution de l’humanité. Dans un monde dominé par l’irrégularité, la ligne droite apparait comme un symbole étrange. Minimisateur spatial et bien souvent temporel, la vision rectiligne du monde est en parfaite opposition avec la réalité. Nous pouvons bien évidemment considérer qu’elle constitue sinon un idéal du moins une utopie, étant donné que la gravitation courbe l’espace. Mais même dans ce cas, la linéarité serait un apport humain dans le sens où elle serait une notion mentale révélatrice d’une mentation hors norme dans la nature. Nous pourrions aussi dire que la droite représente une simplification de la réalité mais ce serait là encore une remarque quelque peu simpliste puisque nombre de structures ne sont en somme qu’un assemblage de droites. Que cet assemblage soit hétéroclite ou pas, cela n’a guère d’importance. Ce que nous devons retenir c’est le principe de décompositon et recomposition linéaire que nous retrouvons dans l’esprit du cubisme, et qui permet d’appréhender le monde dans un cadre spécifique. C’est d’ailleurs cette même idée, ou plutôt ce même schéma mental que nous retrouvons dans l’origine de l’écriture. Qu’elle soit cunéiforme, idéographique ou plus simplement linéaire, l’écriture est une recherche abstraite qui permet de coder le monde dans un langage interne sans être pour autant ésotérique. C’est dans ce sens que nous pouvons considérer la linéarité comme symbole d’humanité. Abduction créative de la réalité, la linéarité se veut le signe de l’homme dans un monde qu’il ne domine pas mais qu’il tente de comprendre par tous les moyens dont il dispose. Elle est donc aussi une forme de pensée latérale car cette vison linéaire est avant tout une rupture, un raisonnement non uniforme qui modifie et transforme sans se contenter uniquement de s’adapter. Sans épaisseur, la ligne ne recherche que la profondeur.