901 - La valeur ambiguë de la paix

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Dans un cadre polémologique nous savons tous combien il est dangereux de considérer la paix comme un équilibre stable puisqu’elle est associée au concept de sécurité. Mais, dans le quotidien, la paix a une image positive que les facteurs politiques manipulent à de multiples fins indépendamment du fait que le peuple ne le soupçonne pas. Bien sûr tout le monde connaît le symbolisme du drapeau blanc, seulement quand il devient un ballon, son interprétation est plus complexe. Tandis que cette difficulté démontre le caractère ambigu du cadre pacifique, pour l’essentiel ça ne change rien au bon sens populaire. Une des plus importantes dimensions de la paix en géostratégie et plus généralement en stratégie est le schéma mental du prétexte. Comme motif et comme objectif, la paix permet des entreprises qui seraient inconcevables dans des conditions normales. Sous prétexte de paix, un mouvement peut facilement transgresser les droits de l’homme ou transformer localement le sentiment de résistance avec la notion de coût. De plus dans un champ de combat national l’utilisation locale de la paix permet des mouvements qui paraissent anodins en tant que détails et antinationaux dans un cadre global. Cependant le paradoxe ne se cache pas dans ce mouvement mais dans le sentiment de la valeur du mouvement. Le monde qui soutient le concept de paix a le sentiment qu’il constitue un morceau du combat national tandis qu’en substance sa pratique a précisément le résultat opposé. Le noyau du problème n’est donc pas le mouvement mais le substrat qui se trouve en position minoritaire et utilise le prétexte de la paix pour légaliser ses vues mais aussi son inertie en ce qui concerne la lutte nationale. C’est là que se trouve et se cache l’élément ambigu de la paix. Pour ce noyau du problème, la paix n’a seulement qu’une valeur médiologique qui reste virtuelle dans son essence. Mais la seule chose qui importe c’est le but et la légalisation des actes, lesquels dans d’autres conditions auraient clairement le sens d’une trahison. L’autre point périlleux de cette approche paradoxale de la paix est qu’elle laisse le champ de bataille libre à l’adversaire officiel puisqu’elle crée des vides dans le front de la résistance et désarme la notion de sacrifice. De plus l’adversaire peut se servir à des fins personnelles du pseudo-dogme de la paix. Le prétexte devient alors une lame à double tranchant car les hommes qui étaient convaincus d’agir de manière nationale n’ont plus aucun argument pour affronter leur adversaire officiel. Et pour résoudre l’aporie à laquelle ils ont été conduits, il ne reste plus rien d’autre que de combattre leur propre gouvernement. Car au moment de la difficulté, le peuple n’examine pas le motif de difficulté mais son existence. Tout cela, bien sûr, n’a seulement qu’une valeur théorique sauf si cela concerne un état qui vit sous l’occupation.