2051 - Leonardo da Vinci et Jérôme Bosch

N. Lygeros

Au premier abord cela peut sembler étrange de traiter dans le même article des peintres aussi différents que Leonardo da Vinci et Jérôme Bosch. C’est seulement après l’examen de leurs dates de naissance et de mort, respectives, à savoir 1452-1519 pour le premier et 1450-1516 pour le second, que nous pouvons saisir l’importance de la comparaison. Pour faire la synthèse de cette divergence, il suffit de dire que ces deux artistes qui créaient hors de leur temps, vivaient à la même époque. D’une manière plus paradoxale, ils étaient doublement contemporains : temporellement et intemporellement. Ceci est d’autant plus remarquable que le contexte artistique de leur époque est extrêmement restreint puisqu’il est pour l’essentiel centré sur la thématique religieuse. Il serait facile de voir dans leurs oeuvres respectives de l’excentricité mais ce ne serait que l’aliénation de la notion d’éclectisme. Du point de vue structurel, Leonardo da Vinci est synthétique, tandis que Jérôme Bosch est analytique. Seulement dans les deux cas, l’importance du détail est essentielle. Chez le premier, les petits univers composent la géométrie du monde. Chez le second, ces mêmes petits univers transcrivent le temps du monde. Malgré le caractère religieux des sujets traités par les deux peintres, leur traitement de la mise en scène a pour thème principal l’humanité. Et les deux peuvent être considérés comme des précurseurs de ce que nous nommons l’humanisme audacieux. Malgré les normes de leur époque et de leurs sociétés respectives, les deux hommes se sont libérés pour créer des oeuvres qui ont la marque de leur génie et non de leur temps. Nous pourrions aussi préciser que Jérôme Bosch semble être l’intermédiaire pictural entre Leonardo da Vinci et François Rabelais. Certes le style est différent mais la recherche est la même. Il s’agit de la revendication de la liberté humaine. A chaque fois, chacun à sa façon, ils stigmatisent la culture de la masse à travers la masse de la culture. Ils mettent en exergue l’art du simple en mettant en évidence la supercherie sociale. Leur vision du monde n’est pas sociale mais humaine. Leurs connaissances peuvent sembler hétéroclites au premier abord. Mais elles ne sont que la preuve de leur capacité d’absorber les éléments du Moyen-Âge pour préparer la Renaissance. Ils ne se contentent pas de réciter bêtement le savoir populaire. Ils révèlent ses défauts à travers leurs oeuvres. Tous deux dotés d’une intelligence qui les rendaient suspects auprès de la norme. Ils étaient des libres penseurs avant l’heure car ils ne pouvaient accepter de suivre la masse et luttaient contre la barbarie de l’Empire Ottoman : l’un à travers ses écrits et l’autre à travers sa peinture. Ils auraient pu se rencontrer à Milan ou à Venise, les lieux et les dates rendaient la chose possible. Quoi qu’il en soit, la renaissance italienne influença les deux hommes. Cependant le point le plus caractéristique de leur ressemblance picturale, c’est le traitement des monstres, ces hommes formidables. Car chez les deux hommes, la compréhension de la nature humaine passe par l’étude des monstres. Les extrêmes mettent en exergue les caractéristiques. Telle est la leçon des maîtres de la renaissance.


(Source: http://www.abcgallery.com/B/bosch/bosch7.html)