1090 - Sur la logique archaïque

N. Lygeros

A partir de son analyse de la philosophie présocratique qu’il considère comme la préhistoire de la logique, E. Hoffmann a forgé l’expression « logique archaïque » [ in Die Sprache und die archaische Logik ]. C’est en ce sens que s’inscrit cette note puisque nous considérons nous aussi Héraclite comme son représentant principal en Grèce. De plus, l’écriture de celui-ci permet d’être étudiée comme un ensemble d’aphorismes puisqu’elle est créée pour ne pas disparaître en se basant sur des règles naturelles qui sont mnémotechniques et poétiques. Quant à son unité linguistique, elle est constituée par la phrase d’où l’importance de cette dernière qui est caractérisée par un style antithétique : les deux membres de la phrase se complètent en s’opposant. Ainsi la coordination plutôt que la subordination domine ses phrases. Ce qui incite à penser qu’il préférait la brièveté et l’indépendance. Héraclite exploite les images frappantes et le rythme. Il existe donc une ressemblance avec la prose gnomique même si les vers d’Héraclite sont plus denses et plus elliptiques. Et la plupart de ses réflexions philosophiques ne diffèrent que très peu des proverbes quant à leur forme. Cela s’explique entre autres par la volonté d’Héraclite de poursuivre la tradition de la création anonyme et son goût prononcé pour le paradoxe. C’est aussi pour cette raison que le prédicat est presque toujours une image. Héraclite via un style volontiers provocant souligne l’unité des contraires. Il s’appuie donc sur un schéma mental qui n’obéit pas à un processus d’acquisition des connaissances par étapes mais à une loi de type tout ou rien. L’image est soit comprise d’un seul coup, soit non acquise. Via Héraclite, la philosophie devient la continuation de la poésie, il n’y a donc pas de rupture cognitive. Nous retrouvons cela dans son utilisation dynamique de termes qui sont apparemment statiques. En ce sens, son discours aphoristique s’oppose grandement au discours narratif de ses prédécesseurs. Héraclite ne s’intéresse pas plus au paragraphe i.e. l’histoire, le récit qu’à l’étymologie du mot. Tout son intérêt est axé sur la phrase dans son ensemble. La révélation ne provient pas du mot mais de l’ensemble des mots de la phrase et surtout de la structure de celle-ci. Et c’est justement pour cela que l’utilisation du jeu de mots est naturelle. Héraclite exploite le schéma suivant a – b – a – b qui est celui de l’opposition mais aussi celui-ci : a : b = b : c qui crée un principe d’analogie non nécessairement basé sur l’opposition et cette fois, il exprime une tendance vers l’universalité de la loi. Dans ce sens, avec Héraclite nous sommes au commencement de la prise de conscience de la notion de concept et le trait principal de ce dernier c’est l’unité, l’indivisibilité. L’essence du monde héraclitéen est basée sur le rapport entre l’unité de l’univers et la multiplicité des entités qui le composent. Aussi la généralisation qu’il obtient à travers son concept, est une condensation du singulier, du concret qui permet d’être enclavé dans la formule afin de traverser le temps. Dans ce cadre, la logique archaïque d’Héraclite transcende la logique formelle puisqu’elle se construit sur un concept-image qui ne transcrit pas seulement une syntaxe-sémantique uniforme mais un ensemble structuré qui englobe un complexe interprétatif multiforme.