1358 - Leibniz ou une vision min-max du monde

N. Lygeros

Il semblera sans doute anachronique pour les profanes d’attribuer à Leibniz la paternité de la notion min-max étudiée de manière extensive par von Neumann. Néanmoins, comme ils pourront le constater eux-mêmes avec texte à l’appui, cette idée a un sens spécifique. Dans son Discours de Métaphysique et en particulier dans deux de ses sections, à savoir la V et la VI, nous voyons Leibniz employer des termes et des formulations qui ne peuvent pas ne pas être rapportés à la création de la notion min-max. Plus précisément, à la fin de la première des deux sections mentionnées, celle qu’il intitule : ” En quoi consistent les règles de perfection de la divine conduite, et que la simplicité des voies est en balance avec la richesse des effets “, il explicite ce que nous voulons analyser dans cette note.

” Pour ce qui est de la simplicité des voies de Dieu, elle a lieu proprement à l’égard des moyens, comme au contraire la variété, richesse ou abondance y a lieu à l’égard des fins ou effets. “

Nous avons donc d’une part l’application de la règle du rasoir d’Occam qui élimine toute hypothèse superflue et d’autre part la recherche de la plus grande diversité. En réalité, Leibniz décrit un problème dynamique sous contrainte. Il n’y a pas de liberté absolue dans le choix du monde. Il représente pour lui la solution optimale avec les contraintes données. Ce qui est intéressant dans cette approche, c’est la valeur de la symétrie complémentaire.

” Et l’un doit être en balance avec l’autre, comme les frais destinés pour un bâtiment avec la grandeur et la beauté qu’on y demande. “

Cette balance qui provient de son image empruntée à l’architecture, est tout à fait caractéristique de l’équivalence des contraintes. Ensuite, il termine sa section en insistant sur la simplicité.

” Car la raison veut qu’on évite la multiplicité dans hypothèses ou principes, à peu près comme le système le plus simple est toujours préféré en astronomie. “

Comme il n’a pas formalisé son idée, il exploite les analogies une fois avec l’architecture pour la diversité, une fois avec l’astronomie pour la simplicité, mais l’équivalence du cadre bi-contraint est bien là. Dans la section suivante, il utilise cette fois les mathématiques avec le problème désormais classique de l’interpolation afin d’asseoir sur des bases plus formelles son idée initiale. Cela lui permet de conclure de cette manière.

” Ainsi on peut dire que, de quelque manière que Dieu aurait créé le monde [ce point permet d’avoir l’universalité de la proposition de Leibniz] il aurait toujours été régulier et dans un certain ordre général. [idem] Mais Dieu a choisi celui qui est le plus parfait. [cf. notion d’élégance développée par Chaitin], c’est-à-dire celui qui est en même temps le plus simple en hypothèses et le plus riche en phénomènes, comme pourrait être une ligne de géométrie dont la construction serait aisée et les propriétés et effets seraient fort admirables et d’une grande étendue. “

A la lecture de ses mots, il est difficile de ne pas caractériser sa vision de min-max. Car il met en évidence grâce à une symétrie complémentaire, l’équivalence des contraintes dont la résolution via son optimalité permet d’effectuer un choix i.e. le monde, parmi un ensemble infini de possibilités.