1414 - Remarques sur le Traité de Kars

N. Lygeros

La lecture des anciens traités de paix est toujours édifiante quant à la nature des relations des cosignataires. Elle permet aussi d’étudier de manière diachronique la manière de faire de certaines diplomaties beaucoup plus efficaces que d’autres pour remettre en question et en ordre, tout ce qui peut être dérangeant pour elles. Le cas du traité de Kars qui date de 1921 est particulièrement révélateur.

Dès le premier article du traité nous pouvons admirer le cynisme diplomatique qui fait table rase des données du passé.

Article 1 : Le gouvernement de la grande assemblée nationale de Turquie et les gouvernements des républiques socialistes des soviets d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie considèrent comme nuls et non avenus les traités conclus entre les Gouvernements […] Il est bien entendu que le Traité Turco-Russe signé à Moscou le 16 Mars 1921-1337 fait exception à la teneur de cet article.

Cette mise au point vise directement à annuler les effets du traité de Sèvres qui n’a jamais été véritablement appliqué. Cette directive est confirmée par la teneur du début de l’article 2.

Article 2 : Les Parties Contractantes sont d’accord à ne reconnaître aucun traité de paix ou autre acte international qu’on voudrait imposer à l’une d’elles.

Ce système de coalition diplomatique permet en réalité de placer les parties contractantes dans un contexte qui n’a plus de dimension historique. Hors contexte, la coalisation demeure intouchable. Quant à l’article 10, il permet de mettre hors-la-loi toute tentative de représentation locale i.e communauté étrangère. Il complète ainsi le hors contexte historique puisque les différences n’ont pas le droit d’exister.

Article 10 : Les Parties Contractantes s’engagent à ne point admettre sur leurs territoires la formation ou le séjour d’organisations ou de groupements prétendant assumer le rôle du Gouvernement de l’autre pays ou d’une partie de son territoire ainsi que le séjour des gouvernements ayant pour but de lutter contre l’autre pays.

Cet article permet officiellement la stabilisation des frontières des parties contractantes mais pas seulement. Son but est aussi de désarmer toute tentative de changement de la part des populations arméniennes ou kurdes.

L’article suivant est un modèle du genre dans le domaine de l’effacement de l’histoire. Mais avant de l’analyser considérons d’abord son contenu.

Article 15 : Chacune des Parties Contractantes s’engage à promulguer immédiatement après la signature du présent traité une amnistie complète aux citoyens de l’autre partie pour les crimes et délits commis par suite de la guerre sur le front du Caucase.

Sans le contexte historique des génocides arménien (1915) et pontique (1918) il est difficile de saisir l’ensemble des implications de cet article relativement neutre. Seulement nous ne devons pas être dupes, cette procédure permet entre autre d’effacer le génocide des Arméniens et ses conséquences puisque l’Arménie en tant que soviet à l’époque faisait partie de l’Union Soviétique et du coup de l’autre partie contractante.