1470 - La valeur du groupe à travers la beauté de la troupe

N. Lygeros

Les moments intenses sont rares, même entre amis. Ce sont pourtant ceux qui caractérisent notre vie. Il faut dire que dans un monde où règne le social, il est difficile de s’exprimer en tant qu’être humain. Aussi lorsque ces moments arrivent, il faut savoir les apprécier à leur juste valeur, surtout s’ils ont lieu à des moments critiques de l’histoire. Même en luttant pour les causes arméniennes, chypriotes ou grecques, notre pensée européenne est bien rarement de nature géostratégique. Nous nous contentons de travailler pour les droits de l’homme sans véritablement nous rendre compte que ceux-ci, lorsqu’ils appartiennent à de grandes causes sont nécessairement immergés dans un cadre plus vaste qui ne tient pas seulement compte des problèmes de nature humaine. Cependant avec la notion de génocide, tout cela est remis en cause.

Le génocide qui par définition dépasse la nature humaine, s’attaque directement à l’entité abstraite que nous nommons humanité. Et c’est en cela qu’il joue un rôle fondamental dans l’évolution de notre lutte pour sa reconnaissance. Car il ne s’agit pas d’aider simplement une personne en particulier mais un peuple tout entier. Quant à sa blessure, même si elle peut être quelque peu abstraite en raison de l’éloignement temporel et du coup historique, elle nous plonge nécessairement dans nos racines. Ces dernières ne sont pas nécessairement celles des victimes. Mais ce sont toujours celles des hommes.

Il n’est donc pas surprenant que nous ne puissions partager ces moments intenses de lutte qu’avec des amis. Car dans ces instants, nous ne pouvons compter que sur eux. Les autres ne sont pas touchés de manière naturelle. Il faut auparavant effectuer un travail de préparation psychologique pour provoquer une certaine sensibilité. Cela ne veut pas pour autant dire que c’est impossible. Et la meilleure preuve c’est l’existence du théâtre engagé et de manière générale de l’art engagé. Au théâtre, l’effet de groupe est naturel à travers la notion de troupe. Mais celle-ci ne peut se définir uniquement à partir de la répétition. Seule la représentation avec l’impact qu’elle suppose sur le public permet de transformer un groupe en troupe. Et même si le groupe a des préoccupations dans le domaine des droits de l’homme, c’est dans la troupe que le public peut découvrir l’aspect humain de la chose. C’est entre autres la raison pour laquelle il est difficile de parler de la beauté de la troupe. Pourtant c’est bien elle qui donne de la valeur au groupe par l’impact qu’elle produit au niveau du public. Ainsi lorsque la troupe s’efforce de jouer une pièce consacrée au thème du génocide, comment ne pas être ému par ses amis qui dépassent chacun à sa manière ses propres difficultés pour s’adresser à un public inconnu qui ne connaît pas nécessairement les tenants et les aboutissants du génocide. Il nous a été donné l’occasion de constater les efforts du groupe pour remplir ce rôle bien particulier et cette note est dédiée à chacun de ses membres. Car nous sommes conscients que sans ce travail de longue haleine, le public serait totalement ignorant. Car même si le génocide touche l’ensemble de l’humanité, il touche rarement les gens.