2277 - La nature en tant que modèle des peintres

N. Lygeros

Chez Leonardo da Vinci et en particulier dans son traité sur la peinture, la nature joue un rôle fondamental. Il va à l’encontre des copistes car pour lui, peindre n’est pas copier. Il va à l’encontre de la tradition qui ne recherche pas.

« La peinture va déclinant d’âge en âge et se perd, si les peintres n’ont d’autre guide que ce qui s’est fait avant eux. Le peintre fera une œuvre de peu de valeur s’il prend pour guide les œuvres d’autrui, mais s’il étudie d’après des créations de la nature il aura de bons résultats. Nous voyons cela chez les peintres qui suivent les Romains et qui s’imitaient toujours l’un l’autre, et l’art déclinait toujours d’âge en âge. »

De manière analogique, Leonardo da Vinci décrit le crétinisme qui provient de la dégénérescence. Cela lui permet de faire une critique des petits maîtres qui se considèrent comme des maîtres car ils copient les grands. En réalité, il ne s’agit que de copistes qui ne maîtrisent pas l’art, mais uniquement le leur. L’analyse de Leonardo da Vinci est tout à fait concrète et concerne le traitement des proportions.

«Je dis cela contre les peintres qui prétendent corriger les œuvres de la nature, ceux, par exemple, qui représentent un enfant d’un an, dont la tête devrait entrer cinq fois dans sa hauteur, et qui la font entrer huit fois ; et alors que la largeur de ses épaules est égale à celle de sa tête, ils font la tête moitié moins large que les épaules ; et de la sorte ils donnent à un petit enfant les proportions d’un homme de trente. »

Seulement la critique ne s’arrête pas là. Car le problème n’est pas l’existence des copistes mais leur décision de redéfinir la normalité. Pour eux, la nature doit être corrigée et c’est contre cela que résiste Leonardo da Vinci.

« Ils ont si souvent commis ou vu commettre cette erreur qu’ils l’ont mise en usage. Et elle est tellement fixée dans leur jugement corrompu qu’ils se convainquent eux-mêmes que la nature et ceux qui imitent la nature errent grandement à ne pas faire comme eux. »

La problématique est donc simple : c’est une polémique. Certes celle-ci à notre époque pourrait sembler désuète mais il faut la recontextualiser pour en saisir toute l’importance. Les copistes constituant la majorité des peintres, ils arrivaient à imposer leur canon car la démultiplication du motif finit par influencer tout le milieu. Leonardo da Vinci conscient du phénomène résiste à sa manière en mettant en évidence et en exergue les véritables créateurs à savoir Giotto de Florence et Tomaso de Florence, dit Masaccio, qui ont démontré par leurs œuvres « que tous ceux qui prenaient un autre guide que la nature, maître des maîtres, dépensaient de vains efforts. Seulement malgré son génie que la masse remettait en cause quant à son universalité, il ne peut lutter qu’à travers ses textes. Contrairement à l’ensemble des manuscrits, Leonardo da Vinci comptait faire paraître son traité sur la peinture. Aussi c’est avec cette mise au point qu’il faut lire le passage suivant.

« Je veux dire, au sujet de nos études mathématiques, que ceux qui n’étudient que les maîtres et non les œuvres de la nature sont, quant à leur art, petit-fils et non fils de la nature, maîtresse des bons maîtres. Oh ! Quelle folie immense de blâmer ceux qui n’apprennent que de la nature, et ne s’occupent pas des maîtres, disciples de cette nature. »