284 - L’interprétation et l’équi-probabilité

N. Lygeros

Considérons l’expérience de pensée suivante : nous avons deux particules élémentaires possédant les mêmes propriétées (deux éléctrons par exemple) que nous notons A et B. Au début de l’expérience, nous connaissons leurs positions avec précision (comme elles ont une vitesse aussi faible que possible, il n’y a pas de transgression du principe d’incertitude d’Heisenberg) ensuite nous croisons leurs trajectoires et enfin nous mesurons leur position finale. La question qui se pose alors est celle-ci : Avons-nous obtenu A, B ou B, A ? Dans le premier cas, A et B ont effectué un choc élastique, dans le second, un véritable croisement a eu lieu. L’un des principes fondamentaux de la contradiction théorique de la mécanique quantique est précisement l’impossible de distinguer les deux résultats.

Considérons à présent une expérience de pensée analogue dans le domaine relationnel humain. A deux individus qui se connaissent bien (des jumeaux par exemple) nous donnons la même somme d’argent et nous leurs demandons d’acheter l’objet de leurs choix dans un premier temps pour eux-même et dans un second pour l’autre. Ainsi nous avons : (A-A et B-B) ou (A-B et B-A). La simple observation ne suffit pas pour différencier les résultats terminaux en raisons de l’absence d’information sur le mode d’achat et de la connaissance mutuelle des deux personnes. Dans cette expérience de pensée, il est donc impossible de reconnaître le choix égoïste du choix altruiste à l’instar de l’identité et du croisement dans la première expérience.

Ainsi, sans autre connaissance supplémentaire une théorie des relations humaines devra considérer cette impossibilité de distinction de cas comme un principe dans sa structure théorique. Car la différence ne pourra exister qu’au niveau de l’interprétation de la théorie. Un même substrat théorique peut donner lieu à diverses interprétations. Par exemple du point de vue de la ramification, la distinction des cas dans les deux expériences est possible mais pas la connaissance de l’univers dans lequel nous serons apres l’expérience. Immergés par nécessité dans une unique branche d’univers, nous ne pouvons déterminer laquelle. La différence se situe donc dans l’herméneutique. Une autre manière de voir cela consiste à placer le schéma mental de la différence dans une couche plus profonde de la théorie inaccessible à l’observation directe comme dans une théorie à variable cachées.

Quoi qu’il en soit, un fait est certain, la même expérience est interprétable de plusieurs manières, aussi l’interprétation de l’expérience est plus une caractéristique de l’observateur que celle de l’objet étudié. Elle appartient au contexte de l’entité et non strictement à celle-ci. En ayant à l’esprit ce phénomène, il est plus naturel de saisir la différence comportementale des individus face au même acte. Ceci met en évidence aussi l’erreur d’interprétation qui peut exister au sujet de l’altruisme. En effet, même un acte totalement désintéressé, ne serait-ce que par sa singularité, est bien souvent interprété comme un acte avec des intérêts cachés. De plus, le contexte habituel correpondant à des actes intéressés n’est d’aucune aide pour l’individu normal. Aussi sa réaction face à un acte altruiste sera essentiellement sceptique et ce d’autant plus selon le niveau des propriétes prométhéennes de l’acte. L’interprétation négative provient non seulement de l’habitude mais aussi tout simplement de son existence potentielle. Car l’interprétation est un choix certes biaisé par la nature de l’individu mais, néanmoins, un choix.