294 - Remarques d’ordre didactique sur le cours spécial

N. Lygeros

Avant d’aborder en détail les remarques d’ordre didactique sur la nature, l’expérience et les apports du cours spécial, une petite introduction historique est nécessaire. Le groupe spécial a donc été créé, en mars 1999, à la suite d’un échange avec Pierre Gilles de Gennes sur l’enseignement universitaire non uniforme. Ce cours s’est tout d’abord adressé à un petit groupe de six étudiants en Deug Sciences de la Matière à l’Université Lyon I.
L’ensemble de ces premiers étudiants suivait notre cours de calcul formel en Maple. La constitution de ce petit groupe s’est effectuée par affinité et à la suite d’une proposition de ma part de revoir les connaissances acquises via de nouvelles méthodes. En effet la conception du cours spécial avait pour objet la constitution d’un groupe de brainstorming afin d’étudier des problèmes ouverts dans le domaine des mathématiques effectives dont la résolution nécessite une approche intelligente, holistique et symbolique. Il s’effectue désormais dans le cadre de l’Irem de Lyon au sein de la thématique problèmes ouverts et calcul symbolique.

Voici le commentaire de l’un de ces tout premiers étudiants du cours spécial. ”Le cours spécial m’a appris d’abord à travailler en groupe, ce que tout le monde vante, mais en plus il m’a montré l’efficacité du travail en groupe, ce que personne ne démontre.” Cela rejoint l’objectif principal et la raison de l’existence du groupe spécial. Car la découverte de nouvelles mathématiques, ne se fait que par la complétion de l’enseignement classique dans le domaine du travail collaboratif. De plus, pour ce brillant étudiant et absolument pas habitué à travailler en groupe, ceci a été particulièrement difficile et il lui a fallu toute sa ténacité pour y parvenir. Aussi cette petite phrase n’est que le sommet d’un iceberg…

”Il m’a fait découvrir de nouveaux domaines, de nouveaux raisonnements souvent non uniformes dans des domaines “connus”.” Même si l’expression semble galvaudée, elle a le mérite d’être explicite sur ce point de l’enseignement. ”Il m’a montré mes limites mais aussi comment développer certaines capacités. Le cours spécial m’a permis de faire ce que fais maintenant et j’en suis très content.” i.e. intégration de l’Ecole Centrale de Lyon et épanouissement au sein de celle-ci.

Par la suite, le recrutement au sein du cours spécial a été plus personnel par nécessité structurelle. Comme le groupe initial existait, les nouveaux étudiants devaient s’adapter d’une certaine manière à celui-ci. Aussi, ils devaient avoir un caractère relativement stable du point de vue de l’approche des mathématiques, de l’informatique et plus généralement de la recherche afin de ne pas être noyés par la dynamique du groupe.

La grande majorité de ces nouveaux étudiants appartenait à nos cours normaux effectués en classes préparatoires (Mathématiques Supérieures de la Martinière, Mathématiques Supérieures et Mathématiques Spéciales du Parc.) même si le spectre des étudiants était beaucoup plus étendu puisqu’il comportait aussi des étudiants en licence de physique, en licence d’informatique, en licence de mathématiques, en maîtrise de mathématiques pures, en maîtrise de mathématiques appliquées.

L’un de ces premiers étudiants à avoir intégré le cours spécial via cette nouvelle approche, alors qu’il était à l’époque en classes préparatoires, donne son opinion sur le cours spécial en ces termes. ”Le cours special me permet tout d’abord d’accéder à des domaines d’études qui étaient pour moi inconnus. La résolution de problèmes nouveaux, les liens que l’on tisse entre eux lors du cours special, m’amène à comprendre de nouvelles méthodes de pensée. J’utilise alors ces méthodes lors de mes différents cours. Je peux alors étudier les matières abordées en cours beaucoup plus profondement.”

Il ne faudrait pourtant pas voir dans ce commentaire le reflet de l’état d’esprit de cet étudiant au moment de son intégration dans le groupe. Sensible au regard des autres, il avait pu observer le changement de point de vue de ses camarades de classe à la suite de sa compréhension de notre approche particulière de l’enseignement du calcul formel (il s’agit bien évidemment d’un euphémisme si l’on resitue cette manière de faire dans le carcan classique) qui remettait en cause la hiérarchie habituelle existant au sein des classes préparatoires. Aussi sa vision du groupe spécial était différente. Il se retrouvait dans une position de liberté totale sans voir ses répercussions, sans comprendre sa raison essentielle i.e. son concept fortement cognitif.

Ce commentaire représente, en réalité, l’évolution actuelle de cet étudiant qui a intégré l’ENSPS et qui collabore avec nous dans le cadre de véritables recherches basées sur les posets et leur représentabilité par cercles ainsi que l’utilisation des algorithmes génétiques dans les mathématiques effectives à l’instar du suivant qui a integré le cours spécial lorsqu’il était en maîtrise de mathématiques pures. ”L’intérêt du cours spécial sur le moment est clair : on est confronté à un beau problème. (Il suffit d’imaginer ce qu’on ressent quand on voit un intégrale monstrueuse sur un tableau de khôlle : c’est exactement l’inverse !)” Cette petite remarque n’est pas innocente puisque cet étudiant avait connu la Sup. et la Spé. du Lycée du Parc. Il s’agit donc de vécu…

”Ensuite c’est le changement de phase : irréversible.” Même si elle est vraie, cette expression n’est pas révélatrice car elle correspond à une transposition directe de nos propos en cours. ”Le vécu dans un tel cours n’est pas facile à formuler. C’est un peu un miroir sphérique. De toute façon c’est une joie d’y aller. On n’y va pas par habitude.” Ce point est essentiel car le cours spécial n’est pas obligatoire, qu’il a lieu par nécessité de compatibilité d’horaires des étudiants, à des heures tout à fait inhabituelles et enfin qu’il ne donne pas droit à une note qui puisse être validée par la suite. De plus, à cette époque, le cours spécial n’avait même pas de statut au sein de l’Irem.

”On a le sentiment d’être là pour faire quelque chose (différence avec l’école : on est là pour avoir une bonne note, peu importe ce que l’on fait réellement). On peut avoir des retours à n’importe quel niveau tout au long du cours : intellectuel, émotionnel, technique, personnel…” Il est important, à ce niveau de la présentation du cours spécial et des commentaires sur celui-ci, de préciser qu’au début et à la fin des résolutions de problèmes difficiles en phase de brainstorming, nous mettons en place une discussion qui permet d’expliciter les points suivants :

– les points forts de chacun des membres du brainstorming

– les points faibles de chacun des membres du brainstorming

– le jugement personnel de son propre apport au sein du groupe dans la résolution du problème spécifique

– le jugement du complémentaire sur l’apport d’un membre au sein du groupe dans la résolution du problème spécifique.

Ces éléments sont non seulement essentiels dans la constitution du groupe de brainstorming afin d’améliorer son efficacité dans la résolution de problèmes difficiles et longs, mais aussi plus généralement dans la connaissance interpersonnelle des membres qui s’est souvent transformée au fil du temps en réelle amitié. Ce dernier point peut sembler hors cadre du point de vue didactique mais il s’avère fondamental en réalité car il induit un cadre de confiance plus apte via l’entre-aide à la compréhension de nouvelles méthodes. Il représente donc une composante fondamentale dans la synergie du groupe.

”Suivre ce cours représente un choix de vie. Vivement que j’y assiste à nouveau !!” Cette dernière phrase dont l’enthousiasme peut paraître surprenant, est explicable par le fait que cet étudiant a du s’éloigner pendant un an pour suivre le cours de DEA en informatique théorique à Marseille… Enfin, il rajoute en ce qui concerne l’apport dans les autres activités mathématiques en termes de compétence que ”le cours spécial donne une vue d’ensemble d’un problème, améliore des performances sur un long problème, augmente l’endurance mentale et entraîne la capacité de concentration.”

Nous retrouvons cette idée d’aborder les problèmes mathématiques d’une manière différente dans le commentaire suivant d’un étudiant qui a suivi le cours spécial pendant les deux années de classes préparatoires et qui a intégré l’ENSEEIHT cette année. ”C’est pour moi un moyen d’apprendre à penser autrement que de la manière prépa et aussi de voir d’autres domaines des maths que je trouve beaucoup plus intéressants que ce que l’on nous fait faire en prépa. Il est certes vrai que le cours spécial m’intéresse beaucoup en ce moment car il diffère réellement du rythme de la prépa, mais il me permet aussi d’acquérir une autre tournure d’esprit pour aborder certains problèmes mathématiques, tournure qui me servira, je l’espère, pour traiter d’autres problèmes que j’aurai à résoudre plus tard.”

Vers la fin, ce dernier commentaire diffère quelque peu des précédents dans le sens où il insiste sur le futur. L’étudiant ne se contente pas de voir le cours spécial comme un but en soi mais comme un moyen d’évoluer dans son cursus global. Le cours spécial est donc justifié a posteriori. Enfin, l’étudiant exprime, à travers son souhait prudent (compatible avec son caractère), une croyance en l’acquisition de méthodes que représente le cours spécial. En réalité, le commentaire suivant qui rend compte d’une discussion entre deux membres du cours spécial, l’un en Math. Spé. et l’autre en DESS, montre que cette foi n’est pas usurpée puisque avec le décalage qui existe entre les différents étudiants, le futur des uns est le présent des autres.

”Hier en rentrant du cours spécial, nous avons parlé. Il m’a dit que sans le cours spécial, il ne serait pas à ce niveau dans les études (DESS). Je pense que cela s’applique aussi à moi. Je comprends beaucoup mieux, et je retiens plus vite que l’année dernière. J’arrive à faire certains sujets de concours difficiles. Je ne sais pas si c’est à cause du cours spécial ou de l’entrainement.” Ici, aussi la dernière phrase est caractéristique puisque elle correspond à un étudiant qui se pose d’innombrables questions et qui ne cesse de douter de lui-même. Elle prouve à sa manière que le cours spécial n’est pas une immense machine automatique qui engendre une pensée artificielle. Malgré leur évolution globale, les étudiants conservent leur identité et leurs caractéristiques car le but du cours spécial n’est pas d’écraser les personnalités comme dans un cours classique où la masse des étudiants ne permet pas des effets de groupe. Sa méthode ne tente pas de convaincre les autres de sa supériorité, basée sur la confiance des membres, la liberté absolue des sujets et son caractère non obligatoire, elle se contente d’affirmer l’existence d’une manière de penser et en cela elle constitue un éloge de la différence. Ainsi chaque membre du groupe, s’il le désire, s’enrichit individuellement au sein d’une mentalité altruiste. Ce fait est attesté par les lignes qui suivent.

”Pour ma part le cours spécial m’a apporté une ouverture sur les problèmes de toute sorte, surtout sur les problèmes ouverts qui sont pour moi les plus intéressants du point de vue apprentissage et remémoration de l’apprentissage car ils sont exploitables dans plein de domaines. J’ai toujours eu du mal à trouver une place dans les cours alors que là on est injecté et puis après c’est à nous de suivre ou pas, c’est un groupe qui n’est pas individualiste, ce qui est une bonne chose pour l’apprentissage rapide.”

Le commentaire qui suit, à travers sa manière tranchée de voir les choses, pour ainsi dire manichéenne, permet de mettre en évidence la contre-méthode que constitue la conception du cours spécial. L’étudiant en question a tout d’abord suivi notre cours en combinatoire et logique en première année puis celui de calcul formel appliqué à la théorie des graphes et des automates en deuxième année avant d’intégrer cette année l’école polytechnique de Tours. ”En fait l’apport du cours spécial c’est tout ou rien, suivant le bord sur lequel on décide de se placer. Rien car le cours spécial n’a absolument aucun rapport avec quoi que ce soit en rapport avec n’importe quel cursus. C’en est le principe et c’est ce qui fait tout son intérêt, entre nous soit dit. Donc quelque part l’esprit ferme dirait: ça ne m’apporte strictement rien d’utile.”

L’efficacité du cours spécial, ne recherche pas une corrélation avec un rendement scolaire. Son enseignement loin de tenter d’apprendre quelque chose à ses étudiants , se contente de faire comprendre quelque chose à ses membres. ”Cependant, le cours spécial m’a beaucoup apporte, ne serait-ce que pour la pratique régulière du brainstorming, quelque chose que l’on ne peut pas vraiment faire ailleurs, et qui pourtant je pense s’avèrera primordiale à moyen terme.” Le cours spécial apprend aussi à travailler en groupe.” Ici, nous retrouvons les idées et les souhaits susmentionnés. Par contre le paragraphe suivant est sensiblement différent puisqu’il représente une critique explicite du système de l’enseignement traditionnel.

”Mais là où je serais tenté de dire que ça apporte tout, c’est qu’il faut bien dire qu’au premier semestre je me suis fait la remarque que finalement, c’était une des seules raisons qui me faisait venir sur le campus, et qui me redonnait un peu foi en l’ucbl… oui on peut faire des choses intéressantes en premier cycle… enfin disons plutot étant en premier cycle.”

Il est intéressant de constater que l’articulation de l’argument, n’est pas une simple critique du système qui est somme toute habituelle quelque soit la nature de celui-ci. En effet, nous voyons que l’existence du cours spécial ne représente pas une attaque virulente de l’enseignement au sein de l’université mais l’expression de la liberté que peut offrir celle-ci.

A l’image de l’Irem elle-même qui tente de changer les mentalités au sein de la structure, le cours spécial vise avant tout la complétion d’un enseignement qui ne peut dispenser de manière efficace des méthodes d’acquisitions de méthodes en raison de la masse à laquelle il s’adresse. Le cours spécial est là pour pallier des besoins d’étudiants qui sont différents dans leurs attentes car ils ont l’envie d’aller plus loin dans leurs études et dans leurs recherches sans être prisonniers d’un carcan. C’est en cela qu’il constitue un îlot didactique dans le domaine du système de l’enseignement comme le montre la diversité des sujets enseignés et des projets encadrés au sein du cours spécial.
Sujets traités :
Le problème de Guarini.

Analyse retrograde élémentaire.

Le problème du zèbre.

Le problème de l’échelle.

Le problème du train.

Phrases autoréférentes.

Nombre autoréférent.

Le puzzle d’Emile Fourrey.

Construction d’une courbe continue de longueur finie, non dérivable sur un ensemble dense de poin ts.

Frontières identiques.

Problèmes du championnat des jeux mathématiques.

Le problème des cinq maisons.

Montrer que le jeu du morpion en base 3 n’est pas un jeu.

Jeu de dés et probabilité effective.

Le problème de la pièce manquante de Smullyan.

Pavages de pentaminos.

Permutations ordonnées.

Jeu de go.

Pavages à l’aide de polyominos arithmétiques.

Le problème 5+3

Construction de carrés à l’aide du compas seul.

Construction centrée à l’aide du compas seul.

Construction du pentagone à l’aide du compas seul.

Construction de l’octogone à l’aide du compas seul.

Structures autoréférentes.

Problème de Gödel et primorielle.

La conjecture de Kurepa.

Graphes eulériens.

La méthode du recuit simulé.

L’approche d’Euler pour calculer la somme des inverses des carrés.

Groupes symétriques, groupes alternés et interprétation fractale.

Posets dont le groupe d’automorphisme est isomorphe à un groupe donné.

Dimension fractale et inégalités d’Heisenberg.

Suite de Conway et tableau périodique de Mendeleiev.

Diffraction et théorie de la ramification.

Nombres premiers consécutifs en progression arithmétique et algorithme de Nelson.

Théorie des posets, représentabilité par inclusion de cercles et espacetemps causal.

Isomorphie chromatique dans les solides platoniciens.

Echiquiers toriques et calcul matriciel.

Problème de Syracuse.

Nombres de van der Waerden et algorithmes génétiques.

Le théorème de Mohr-Mascheroni et la démonstration de Carrega.

Fonctions hypergéométriques et algorithme de Sister Celine.

Télescopes à miroir liquide.

Sur l’apport d’Abel et Jacobi dans la génèse de la théorie des fonctions elliptiques.

Pavages isotropes et paradigme de l’éléphant.

Conjecture de Hajos, historique et contre-exemple de Catlin.

Conjecture de Hadwiger.

Posets représentables par inclusion de cercles et posets critiques.

Nombres de Erdös-Woods.

Conjecture de Erdös-Woods.

Solitaire dynamique et problème de la barrière énergétique.

Ethique et Intelligence artificielle.

Problème géométrico-combinatoire de Erdös-Szekeres.

Formalisme et Bio-Ethique.

Génération des poly-cubes. bigskip

Projets encadrés : bigskip

Couverture optimale d’échiquiers toriques par calcul matriciel. (Calcul Scientifique, Licence de Mathématiques.)

De l’algébricité à la transcendance. (Histoire des Sciences et Epistémologie, Licence de Mathématiques)

Pi, le nombre diachronique. (Histoire des Sciences et Epistémologie, Licence de Mathématiques)

Sur les nombres de van der Waerden. (Calcul Formel, Maîtrise de Mathématiques Pures)

Enumération et calcul du groupe d’automorphismes des alcanes branchés dans le réseau octaédrique centré. (Maîtrise de Mathématiques Appliquées)

Création de paysages 3D avec le formalisme fractal. (TIPE, Mathématiques Supérieures)

Modélisation d’un casse-tête. (TIPE, Mathématiques Supérieures)

Hilbert : le medium des mathématiques. (Histoire des Sciences et Epistémologie, Licence)

Visualisation dynamique de la distance cellulaire et des degrés d’un graphe d’Erdös-Szekeres. (MIME)

Groupe d’Isométrie d’Alcanes. (DESS d’Ingénierie Mathématiques)

Etude de la représentabilité par inclusion de cercles de posets à 9 éléments. (DEA d’Informatique théorique)