2952 - Éléments structurels de la stratégie maritime contemporaine

N. Lygeros

Dans cette note nous tentons d’expliciter et d’analyser certains des éléments structurels clefs de la stratégie maritime contemporaine. Notre but ne consiste pas seulement à mettre en avant ces caractéristiques mais aussi certaines des répercussions phares sur l’ensemble de la pensée stratégique via la technique et la tactique.

Dans la stratégie maritime contemporaine, les vecteurs n’évoluent plus dans un plan isomorphe à un espace sphérique. L’acquisition de la double verticalité avec l’avion et le sous-marin permet l’accès à un espace en trois dimensions. Comme ce dernier n’est pas symétrique par rapport au plan, il rend nécessaire la compréhension globale des flux. Cette dimension spatiale via l’exploitation de l’armement nucléaire, s’est enrichie au niveau temporel. Ce nouvel espacetemps maritime existe à travers la profondeur temporelle du sous-marin nucléaire. En effet, ce dernier, avec sa capacité à se maintenir à l’abri des regards offre la possibilité de travailler de manière radicalement différente en termes conceptuels. C’est d’ailleurs grâce à cette propriété remarquable qu’il a été possible de mettre en place et ce de manière effective et efficace, la stratégie de dissuasion française. Car la profondeur temporelle permet d’une part le secret de l’action mais aussi l’indépendance de l’action et ce, même à la suite d’une offensive agressive sur le noyau. La possibilité d’avoir des extensions puissantes du noyau, transforme la structure étoilée en véritable réseau qui est beaucoup plus robuste selon la théorie des graphes. Ce principe s’est naturellement accentué de manière récursive puisqu’il s’est construit sur une volonté politique d’acquisition de l’espace maritime. En effet, ce dernier permet aux structures de défense d’avoir une profondeur stratégique et aux structures d’attaque un spectre d’action plus large. Ainsi la combinaison du politique, de la technique et de la géométrie a radicalement transformé notre manière d’appréhender la notion de stratégie maritime. Cette dernière n’est plus considérée comme une composante annexe de la stratégie terrestre. Elle s’active dans un espace complémentaire qui est beaucoup plus vaste et puissant. Ceci s’explique entre autre par le fait de la délocalisation. Cette dernière propriété augmente considérablement la valeur stratégique de la composante puisqu’il joue alors le cadre d’une conceptualisation multitactique. La stratégie maritime n’est donc pas seulement un ajout à la stratégie terrestre mais surtout un enrichissement en termes de complexité opératoire qui transgresse les limites classiques en se plaçant dans un champ d’action hors équilibre qui engendre de la créativité conceptuelle sur l’ensemble de la pensée stratégique. L’interpénétration des réseaux dans des situations conflictuelles non localisées entraîne la nécessité d’une vision qui ne peut se contenter d’être globale mais qui doit cognitivement parlant devenir holistique. Le champ et la noosphère de la stratégie maritime étant de facto plus vaste et plus complexe que celui d’une composante, il engendre une restructuration des schémas mentaux de la stratégie elle-même.