308 - Une vision cybernétique du monde

N. Lygeros

“Pour ouvrir une porte, une poignée suffit.” Le temps des caméléons

De la pensée à l’action, bien souvent, il n’y a qu’un pas mais ce dernier est décisif. Se pose alors le problème de la diffusion de l’idée génératrice. Pour reprendre les termes de Philippe Ariès, faut-il l’attribuer à l’inconscient collectif ou aux idées claires ? Dans le premier cas, l’élaboration de l’idée résulte d’un processus, par nature mystérieux, puisqu’il est spontané : l’idée est délocalisée dans l’ensemble des personnes et finit par sa réduction par façonner progressivement la société. Dans le second cas, le processus de transformation des mentalités est le fait de l’individu ou d’oeuvres spécifiques pour lesquels il est théoriquement possible de mesurer la diffusion. La première approche serait diffusionniste tandis que la seconde est essentiellement construite de manière individualiste puisque sa source est l’ensemble des grands penseurs. Via nos articles Structure, relations et singularités et Anarchisme, pensées et découvreurs, nous avons mis en évidence l’importance des sources et du milieu de diffusion. Aussi l’approche diffusionniste et l’approche individualiste, loin de s’exclure, seraient plutôt complémentaires comme l’a aussi noté Henri Coutau-Bégarie dans le monde stratégique. Une pensée sans diffusion est inutile, une diffusion sans pensée n’est rien. Et nous retrouvons bien la dualité intellectuels-informateurs : à l’instar de la pensée et du langage. André Martel a proposé un schéma de passage de la pensée à l’action sous la forme d’un triptyque stratégique : recherche (ennemi idéal), didactique (ennemi désiré), action (ennemi réel). Bien que ce schéma puisse sembler réducteur, il n’en demeure pas pour autant un modèle de diffusion. Celle-ci a pour origine un effort individuel, local pour ainsi dire, sur le plan strictement intellectuel qui s’appuie sur des idées générales qui une fois enseignées, servent à l’élaboration d’instructions dont les réalisations sont les actions. A travers ces idées nous en percevons une autre, à savoir la dualité politique-militaire qui avait un sens relativement clair et équilibré avant l’avènement de l’arme nucléaire. Car pour la suite, le lien entre la dimension politique et le combat militaire, s’est renforcé au profit de la grande stratégie. En somme, dans ce cadre plus réservé, nous retrouvons la même complexité d’une dualité qui est un assemblage. Il est alors naturel de relier cela aux conclusions de notre article sur Les répercussions globales d’un impact local sur une structure hiérarchisée. De ces considérations, nous en déduisons non seulement l’importance de l’impact d’une pensée mais du choix du milieu de cet impact si nous désirons engendrer une transformation irréversible, qui différencie le passé du futur via l’acte. Il est inutile de frapper une porte pour l’ouvrir puisqu’il suffit de tourner une poignée. L’ensemble de la porte, bien que massif, ne tient qu’à des détails structurels : les gonds et la serrure. Tout le problème consiste en la compréhension de sa structure. Car l’importance de la pensée ne se mesure pas seulement à son originalité mais aussi à sa capacité de traverser le milieu de diffusion qu’elle désire transformer par son apport. Un don n’a de réelle valeur que s’il est accepté, sinon il perd son sens. A l’instar du milieu favorable qui est nécessaire pour l’épanouissement des idées, le milieu de diffusion doit être pensé ; non pas comme un adversaire qui devrait être anéanti mais comme un individu qu’il faudrait convaincre du bien fondé de notre pensée. Le penseur ne peut se contenter de penser le problème à l’écart du monde. Une audace est indispensable. Certains pourront qualifier cette intervention d’inconsciente, d’autres y discerneront les caractéristiques d’un esprit prométhéen qui pense le monde de manière holistique dans une vision cybernétique qui crée à travers ces réalisations la mémoire du futur. En effet le choix de l’objectif conceptuel dans un cadre eschatologique qui provient de la conscience de l’effet de bord, est d’une importance considérable quand nous réalisons qu’il est possible.