3106 - Humanitas et tempus VI

N. Lygeros

Pour mieux saisir les caractéristiques de l’humanité, il est bon de s’attarder sur le quatuor “des dissonances” de Wolfgang Amadeus Mozart et la gêne qu’il a provoquée à son époque mais aussi par la suite. Le point d’achoppement consiste à refuser les assonances du maître. Elles ont été considérées comme des erreurs que les spécialistes de la société se devaient de corriger pour le bien-être de tous. Pourtant personne n’a interrogé son œuvre. Car cette technique était déjà présente dans La flûte enchantée. Seulement elle l’était dans un cadre relativement clair et sur le thème de l’Ordo ab chao. Aussi elles n’avaient pas été suspectées de la même manière par la société. Tandis que la présence des dissonances dans le quatuor en ut majeur est revendiquée par le maître. Il éprouve le besoin de placer dans le contexte relativement classique et conventionnel, des singularités musicales tout à fait caractéristiques. Il signe son œuvre et de cette manière nous avons une signature temporelle propre à l’humanité. Il n’a pas tenu compte des conventions sociales qui le voyaient comme un musicien trop complexe et trop intelligent à leur goût. Car l’essentiel pour la société n’est pas la création mais la distraction. Aussi la musique ne doit pas être engagée et ce en aucune manière. Or la revendication d’une création qui va au-delà des conventions sociales pour atteindre ce qu’elle considère comme essentiel, représente une contestation de la structure sociale. Le musicien n’est pas seulement un élément qui distrait la galerie. Il a une pensée propre qui ne se contente pas de suivre les normes sociales. Il éprouve la nécessité d’exprimer quelque chose de plus profond même si cela n’est pas immédiatement accessible par la majorité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il devient un adepte du dogme qui consiste à affirmer que l’art est uniquement pour l’art car celui-ci n’est qu’une forme de solipsisme sophistiqué. L’exemple et même le paradigme de Mozart n’est absolument pas de ce type. La quête de ce dernier n’était pas seulement intérieure. Son génie n’avait que faire d’analyser sa propre personne. Conscient d’exister pour les autres, il exploitait tous les moyens qu’il avait à sa disposition pour créer une œuvre qui ait un sens pour l’humanité et non pour la société à laquelle il n’appartenait que de manière formelle. Cette différence est essentielle. Le génie universel communique ou plus précisément il offre à tous même si seulement certains peuvent accéder à son œuvre. De plus, il utilise les œuvres de ses prédécesseurs en puisant directement à la source pour éviter l’influence des critiques sociales qui ne cessent de juger pour interpréter à leur manière son œuvre. Le manuscrit initial même s’il n’était qu’une ébauche ou une prise de notes, nous informe bien plus que les commentaires superfétatoires des prétendus spécialistes qui considèrent, sous prétexte de vivre dans une société de l’avenir par rapport au créateur, qu’ils peuvent saisir l’essentiel d’une œuvre enclavée dans une époque. Cependant l’œuvre du génie universel n’appartient à aucune société. Elle n’est qu’un élément indispensable de la structure de l’humanité.