3134 - Sur les notes de Montesquieu au sujet de l’Asie Mineure

N. Lygeros

“J’ai vu avec étonnement la faiblesse de l’empire des Osmanlis. Ce corps malade ne se soutient pas par un régime doux et tempéré, mais par des remèdes violents qui l’épuisent et le minent sans cesse.”

L’opinion de Montesquieu se base entre autres sur les récits des voyageurs de son temps comme Chardin, Tavernier ou encore Tournefort. Il tente dans ses Lettres Persanes une synthèse de ces informations extrêmement précise pour donner une image véritable de la situation en Anatolie. Indirectement il ne manque pas de nous renseigner sur l’opinion de l’Europe.

“Les bachas qui n’obtiennent leurs emplois qu’à force d’argent, entrent ruinés dans les provinces et les ravagent comme des pays de conquête. Une milice insolente n’est soumise qu’à ses caprices. Les places sont démantelées, les villes désertes, les campagnes désolées, la culture des terres et le commerce entièrement abandonnés.”

L’état de délabrement que décrit Montesquieu indique aussi des éléments de la mentalité orientale. Même si le pouvoir est en apparence global comme le suggère la notion d’Empire ottoman, ce sont les structures locales qui ont ce que nous appellerions de nos jours le contrôle de la situation. Seulement cette situation est tout simplement anarchique et les caractérisations de Montesquieu sont suffisamment explicites pour que nous n’ayons pas à les commenter plus amplement.

“L’impunité règne dans ce gouvernement sévère : les chrétiens qui cultivent les terres, les juifs qui lèvent les tributs, sont exposés à mille violences.”

Cette remarque sur les populations locales ne fait que renforcer la précédente sur les termes. Nous avons l’impression que l’empire est traité de l’intérieur comme un territoire ennemi où tout est permis. Comme les terres, les hommes sont à la merci de la barbarie même si celle-ci n’est pas un envahisseur ordinaire. Il est enfin essentiel de comprendre que tous les éléments nécessaires à une répression susceptible de se transformer en massacre puis en génocide, étaient déjà en place en 1711! Ce n’est que l’absence d’infrastructures efficaces qui a retardé l’apparition du génocide.

” La propriété des terres est incertaine, et par conséquent l’ardeur de les faire valoir, ralentie : il n’y a ni titre ni possession qui vaille contre le caprice de ceux qui gouvernent…”

Cette remarque est d’autant plus importante que le contexte de l’Empire ottoman est tout à fait clair en ce qui concerne le cadastre. Encore de nos jours, dans le cadre des recours européens, nous exploitons le cadastre ottoman pour faire condamner la Turquie par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cela signifie que le cadastre n’était qu’un entité de jure mais pas de facto. En pratique tout était contestable par le gouvernement aussi la population ne pouvait aisément se stabiliser, et si elle le faisait malgré tout, c’était à ses risques et périls, car comme l’a montré l’histoire, la barbarie n’a aucune limite.