3198 - L’impromptu du passé

N. Lygeros

La lecture des codex rappelait au vieil érudit les suites de Bach. Il entendait ce violoncelle qui luttait seul dans le néant et qui ne cessait de reprendre le même thème pour le remanier et le complexifier. C’était une suite de textes sur le même thème. Leur auteur analysait et menait une réflexion sur des événements que le vieil érudit ne connaissait pas. Etaient-ce des faits du passé ou des visions de l’avenir ? Il n’arrivait pas à faire son choix. Dans tous les cas, les codex étaient des livres destinés à des combattants temporels de l’esprit. Ils décrivaient comment résister au plus grand des malheurs humains, à la plus inhumaine des barbaries. Ils insistaient sur la manière de se préparer à ce type de conflit extrême qui ressemblait à s’y méprendre à la notion de guerre totale du fameux stratégiste Clausewitz. Seulement, l’un des deux adversaires était innocent et désarmé. Sa faute était d’être. Alors les codex expliquaient ce que devait faire un peuple sans armure, et sur quelles singularités il devait s’appuyer pour s’opposer à l’anéantissement de la barbarie. Il avait à peine fini de lire ces suites qu’il entendit des pas dans la crypte. Cette visite n’était pas prévue. Il enferma rapidement les codex dans une armoire et il emporta avec lui la lame de l’épée. Ce mouvement, il ne l’avait pas décodé. Et il se rappela la célèbre phrase de Schopenhauer “Nous pouvons faire ce que nous voulons mais nous ne pouvons vouloir ce que nous voulons.”. Il descendit dans la crypte aussi vite que possible. Il était inquiet pour les gisants. Il ouvrit enfin la porte. Sa surprise fut si grande qu’il crut avoir une crise. Il vit une petite fille au milieu de ces hommes qui ressemblaient à s’y méprendre aux gisants. La petite fille tenait l’un d’entre eux par la main comme s’il était de sa famille. Il n’eut pas le temps de prononcer un seul mot. D’ailleurs dans quelle langue l’aurait-il fait? Il était encore plongé dans ces alphabets exotiques aussi il fut presque étonné que la petite lui adressât la parole dans sa propre langue.

– C’est mon grand-père, monsieur.

– Comment ?

– Je ne pouvais pas le laisser ici.

– Je ne comprends pas.

– Je lui avais promis que je reviendrais.

– C’est vraiment ton grand-père?

Il regarda l’homme dans les yeux. Il avait à peine vingt ans. Il savait que c’était tout simplement impossible. Pourtant il entendit dans sa tête le mot parev. L’homme n’avait pas bougé les lèvres. Le gisant communiquait directement avec lui. Cette fois c’était au-dessus de l’entendement du vieil érudit. Il s’effondra mais les cinq hommes le rattrapèrent avant qu’il ne touchât terre.