3516 - La musique de la bombarde

N. Lygeros

Le maître de guerre passa en revue ses connaissances. Aucune d’entre elles ne correspondait à ce qu’il avait entendu. Ni la baliste, ni le trébuchet, pas même l’onagre n’était capable de composer cette musique. Il s’agissait d’une nouvelle arme, bien plus meurtrière que toutes les autres. C’était du moins ce qu’il avait pensé en examinant les premiers résultats de cette nouvelle bataille. Il lui semblait évident que cette arme n’avait pas encore été réglée. Sa puissance de feu n’égalait pas pour le moment, la frayeur qu’elle provoquait. L’impact de sa musique provenait avant tout de l’effet de surprise. Sa présence avait désorganisé avant tout la cavalerie. Car les chevaliers avaient été incapables de maîtriser la peur des chevaux. Ce désordre avait été favorable aux détenteurs de la nouvelle arme même si cette dernière n’avait pas dit son dernier mot. C’était à cela que pensait le comte lorsque la nouvelle trahison vint l’interrompre. Une brèche avait été ouverte dans la défense. Et cela n’avait pu se produire sans fuite de la part du camp français. Les doutes planaient en raison de l’opposition entre les Armagnacs et les Bourguignons mais le comte n’était pas certain de cette explication. Selon lui, il ne s’agissait pas seulement d’une querelle mais d’une vengeance avec toute la sournoiserie qu’elle pouvait comporter. Il reconnaissait aussi certains éléments d’une perfidie tout à fait caractéristique. Seulement comment le prouver. Il fallait mener une enquête sans être découvert. Aussi il prit le prétexte de la nouvelle arme pour s’approcher des points clefs de la défense française. En tant que conseiller stratégique, il avait son mot à dire quant au système de défense, aussi personne ne prit garde à ses agissements. Il savait qu’il ne devait pas commettre la moindre erreur. Cependant il ne connaissant pas la véritable nature de son ennemi. Il se souvint du principe du stratégiste de l’ancienne Chine : celui qui se connaissait, n’avait pas d’ennemi. Mais avec la trahison, les choses devenaient plus complexes. Il ne s’agissait plus d’une partie d’échecs. Car certaines pièces étaient de faux aloi. Il aurait été bien cavalier s’il avait pensé qu’il s’agissait d’une histoire de fou car les Anglais avaient plus d’un tour dans leur sac. En inspectant les arbalètes et les carreaux des siens, il entendit un accent qui ne lui était pas inconnu. Sa présence à cet endroit avait quelque chose d’incongru mais il n’en tint pas compte. Il s’approcha du groupe qui discutait et analysa les traits du visage de chacun des interlocuteurs. Aucun d’entre eux n’était suspect. Il était sur le point de s’éloigner lorsqu’il surprit à nouveau cet accent. C’était lui. Cette fois, il en était certain. Son ami de Toscane les avait rejoints. Pourquoi ne l’avait-il pas prévenu? Le comte pensa qu’il n’avait pu faire autrement. Il comprit que son frère d’armes était en mission. Il s’éloigna de l’endroit d’où provenait l’accent afin de ne pas nuire à ses desseins. La présence de son ami vint renforcer l’idée d’une trahison de l’intérieur. Ses services devaient savoir pour l’avoir engagé à cet endroit. Seulement savait-il que le comte y était lui aussi? Rien n’était moins certain. Il songea que le monde était décidément très petit. Cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas vus et maintenant ils chassaient à nouveau le même gibier. La trahison devait donc être encore plus importante qu’il ne l’avait imaginée. La compagnie des piquiers serait morte sans son intervention. Il n’était pas l’unique cible. À présent, il devait protéger son frère d’armes en secret. Et trouver le joueur de bombarde.