375 - De la pensée de l’abstraction à l’abstraction de la pensée

N. Lygeros

Très peu de mots suffisent pour montrer la puissance de la pensée abstraite. Via les processus autoréférents, nous pouvons même définir les objets indéfinissables et décrire ceux qui sont indescriptibles. Le paradoxe syntaxique apparent n’est qu’un moyen dynamique d’engendrer de la sémantique.

Cependant la pensée abstraite ne se réduit pas à un jeu de language même s’il est mené par Ludwig Wittgenstein. Elle regroupe en son sein la pensée symbolique, visuelle et verbale grâce aux schémas mentaux. Bien que la pensée abstraite s’enrichisse en se cristallisant, c’est à sa fluidité qu’elle doit cette puissance qui la caractérise.

A l’instar de l’eau, la pensée abstraite s’infiltre naturellement dans les failles de toute structure, elle remplit l’éponge structurelle, pénétre à travers la porosité des systèmes, remonte à la racine par capillarité, traverse les parois par osmose, exerce une pression sur les barrages et enfin traverse même la pierre goutte à goutte.

Et c’est cette fluidité de l’abstraction qui ne se contente plus de la description qui offre de telles possibilités à la plasticité cérébrale. Car dans ce cadre strictement cognitif, les connaissances ne sont que des éléments. L’important c’est la structure qui les gère. Or cette structure n’est elle-même composée que de son abstraction vide de connotations pragmatiques. Elle n’est pas un assemblage de connaissances mais une méta-connaissance ou plus précisément encore une méta-heuristique capable d’agir sans connaissances préalables si ce n’est celle de sa propre structure.

A la manière d’une grammaire génerative dynamique elle est capable de construire son propre méta-langage. Elle se comporte donc comme une entité démiurgique autonome. Cependant même en ce sens, elle n’a pas de caractéristiques strictement humaines et peut être considérée comme une représentante générique de l’intelligence.

Contenant et contenu à la fois, elle est son propre support par essence. Quant à sa complexité, la calculer reviendrait à l’expliciter aussi elle ne peut être d’aucun secours dans sa compréhension. En d’autres termes, elle correspond aux entités irréductibles du formalisme de Gregory Chaitin. Conception de noyau et noyau de conceptions, la pensée abstraite évolue dans son propre monde tout en influençant la réalité par se répercussions une fois qu’elle a été réalisée par une entité.

Cependant la polymorphie de la pensée abstraite lui permet de réaliser sans la vivre mais en la concevant la réalité d’une information. Alors qu’il s’agit pour ainsi dire d’un truisme que l’information n’est pas la réalité de l’information, dans un cadre caméléonien, ces deux notions se confondent. En effet, la capacité mentale de reconstruction de la réalité est telle qu’elle permet l’évolution des conceptions de cette réalité. Elle crée ainsi un paradoxe apparent puisque c’est la réalité de la théorie mentale qui crée la mentation de la réalité.