4211 - Sur le caractère révélateur de l’erreur stratégique

N. Lygeros

Les questions d’ordre stratégique intéressent rarement les non-spécialistes. Ce fait s’explique par l’intérêt que portent ces derniers au présent sans réaliser la proximité et l’importance du futur. Cependant qu’en est-il des erreurs stratégiques qui permettent de comprendre la réalité présente sans avoir à effectuer l’effort de la conception de l’avenir ? Ce type d’erreur permet de saisir la réalité mentale de celui qui l’a commise. Elle est plus révélatrice que l’erreur d’ordre tactique ou opérationnel car elle est plus profonde en termes cognitifs.

Considérons l’erreur stratégique commise par Adolf Hitler à la mi-août 1941. Ses troupes avaient atteint Smolensk et ses généraux avaient la volonté de foncer directement sur Moscou qu’ils considéraient comme prenable même si cela n’aurait pas été sans difficultés. Cependant Adolf Hitler brisa leur élan car il voulait d’abord en finir avec Leningrad et l’Ukraine. Cette dispersion du front a entrainé de graves problèmes d’ordre logistique et le retard de l’armée allemande a été aggravé par les pluies d’automne et les neiges d’hiver. Cette erreur stratégique a été de plus renforcée par la décision de retarder les trains d’uniformes chauds qui auraient permis aux soldats de résister au froid légendaire ; tout cela au profit des trains de munitions. Néanmoins la puissance de feu n’aurait eu de sens qu’avec des hommes capables de le soutenir. Peu importe car cela n’est pas notre propos ici. Nous voulons nous attacher au caractère révélateur de l’erreur stratégique.

Pourquoi l’appareil nazi à son plus haut niveau ralentit l’attaque au cœur même de la résistance russe à savoir Moscou et désire d’abord en finir avec l’Ukraine ? Cette dernière n’était-elle pas accusée de collaboration de manière globale même si cela est injustifié ? Alors pourquoi s’en prendre à un allié potentiel et au lieu de cela vouloir l’écraser ? Pourquoi signer un pacte avec Joseph Staline si c’était seulement un ennemi ? Certes l’explication habituelle c’est le fait que l’appareil nazi ne voulait pas avoir deux fronts ouverts. Alors pourquoi commettre l’erreur stratégique de retarder une attaque du noyau et perdre son temps sur son extension ? En réalité le problème n’est pas idéologique comme on veut bien nous le faire croire. Il est avant tout d’ordre militaire et par conséquent stratégique.

Adolf Hitler n’avait aucunement confiance envers les Ukrainiens, pas plus qu’envers les Russes. Pour lui, ils étaient tous des communistes au sein de l’Union Soviétique, aussi il se devait de ne faire aucune distinction. Par conséquent, il ne pouvait s’enfoncer dans le front russe et faire une percée rapide sans protéger ses arrières. Il ne considérait pas l’Ukraine comme un milieu favorable au IIIe Reich. Aussi il devait éliminer la moindre résistance possible avant d’attaquer le noyau de l’Union Soviétique. Ainsi l’erreur stratégique d’Adolf Hitler provient de la réalité ukrainienne. Nous pouvons donc accuser à tort et à travers l’Ukraine de tout et de rien. Cependant celui qui est à la source de ce type de critique à savoir le chef de l’état nazi a été on ne peut plus clair. Son opinion sur les Ukrainiens était si négative qu’il a préféré les éliminer a priori en tant qu’obstacle à sa grande stratégie, même si cela lui a fait commettre une erreur stratégique qui est devenue par la suite historique et une des raisons de sa perte finale.