458 - L’imprévu n’est pas nécessairement imprévisible

N. Lygeros

Du point de vue stratégique, une guerre est toujours riche en enseignements, non pas sur ses conséquences mais sur les choix tactiques qui découlent de la grande stratégie. Cependant son apport ne s’arrête pas là. Il concerne aussi la qualité des analyses postérieures à toute attaque et qui sont généralement effectuées par des combattants militaire et stratégique. À ce titre, celle qui s’intitule La grande surprise du général Frank est tout à fait révélatrice de la recherche médiologique et non stratégique. Car en voulant mettre en évidence l’effet de surprise créé pour l’attaque, elle axe sa démonstration sur 3 points : (1) « Les bombardements devaient assommer l’adversaire. Il n’en a rien été. Ils ont été très limités. » 2) « L’action a été conduite à l’aube alors que les Américains, depuis quelques lustres, préfèrent débuter leurs opérations en milieu de nuit. » (3) « Mais le troisième étonnement est plus extraordinaire encore, peut-être sans précédent. […] Les officiers se seraient déclarés abasourdis par ces premières frappes dont ils n’étaient pas, semble-t-il, prévenus. » En réalité, aucun de ces points ne représente une surprise.
La puissance de l’effet de surprise provient essentiellement de son caractère imprévisible. Or les points mentionnés dans cette analyse sont tous prévisibles comme nous allons le montrer par la suite. L’effet de surprise est bien une arme redoutable en stratégie cependant certaines opérations ne sont des surprises que pour certains analystes ou pour leur lectorat.

Le premier cas est relativement élémentaire à traiter lorsque l’on dispose de connaissances minimales sur l’arsenal militaire et psychologique. Il est tout d’abord intéressant d’employer les armes d’une guerre psychologique pour préparer le terrain de la guerre réelle. Aussi le type d’information donnée est prévisible et pour ainsi dire naturel. Ensuite, étant donné que cette armée dispose d’armes spécifiques comme les armes exotiques ou plus généralement de missiles à grande précision et de bombardiers furtifs, il est préférable de les utiliser avant une attaque massive qui par nature n’a pas besoin ni de discrétion ni de précision.

Le deuxième cas s’explique tout simplement par la météorologie et plus précisément l’état de la lune. Lorsque l’on dispose d’appareils qui permettent d’avoir une vision nocturne et que cela est un avantage par rapport à l’ennemi on ne mène pas une attaque nocturne en période de pleine lune. Car l’avantage ne peut être exploité. Aussi, les analystes prévoyaient une attaque après cette période. Donc le plus judicieux c’est d’effectuer l’attaque à l’aube. Il ne s’agit pas là d’une surprise mais d’une conséquence de la logique militaire. De plus l’attaque terrestre constituait essentiellement en une simple avancée en territoire adversaire et non ennemi puisque très peu peuplé et non protégé. Les attaques centrales étant effectuées par des missiles Tomahawk et BLU-169/13 sont indépendantes de ces conditions.

Enfin le dernier cas est de loin le plus contestable en tant que preuve de l’effet de surprise et ce, pour plusieurs raisons. Les officiers n’ont tout d’abord pas intérêt à donner des informations sensibles. Au contraire, ils doivent aider à la désinformation. De plus, il n’y a rien de surprenant à ce que le commandement exploite le plus discrètement possible des informations fournies par les réseaux de renseignements. Quant aux délais, ils sont eux aussi logiques. Puisque la durée de vie d’une information sensible est extrêmement faible dans le domaine de l’espionnage.

Nous avons donc démontré que toute opération militaire ne peut être considérée comme un effet de surprise, c’est justement le contraire qui aurait été une surprise. En réalité, en stratégie, le plus surprenant c’est le nombre d’idées qui sont prévisibles. Car l’imprévisible est rare par nature.