515 - Conjectures et Conjonctures

N. Lygeros

Cet article a pour but d’analyser de manière prospective le rôle de la société sur l’évolution des sciences et en particulier des mathématiques. Il représente une explicitation d’idées conçues au cours de la réunion du groupe spécial de recherche qui avait pour but d’étudier les mentalités en mathématiques. En effet via une interprétation cognitive du théorème d’incomplétude de Gödel, nous pronons une mentalité qui s’appuie sur les résultats de Erdös. Dans ce cadre, les conjectures mathématiques apparaissent comme des points singuliers de la variété démonstrative qui servent de buts. Il semble alors naturel de ranger ces derniers selon un ordre croissant de difficultés afin de donner des directions de recherche sans pour autant qu’elles constituent des directives. En théorie des nombres par exemple un ordre de conjectures possibles serait la conjecture de Catalan, la conjecture de Goldbach, la conjecture de Syracuse et la conjecture de Riemann. Dans un précédent article nous avions interprété la démonstration de Preda Mihailescu de la conjecture de Catalan comme un contre-exemple à suivre en opposition avec l’approche classique de Maurice Mignotte. Cela nous permettait de montrer la puissance d’une attaque oblique, en d’autres termes d’une approche indirecte pour traiter des conjectures difficiles. Quant aux autres conjectures, des résultats partiels nous donnent des espoirs décroissants sur l’atteinte d’une démonstration complète. Cependant ce serait réfléchir à ces problèmes sans faire intervenir la société qui est au contraire de plus en plus présente dans la recherche. En effet même s’il est vraisemblable que les premières conjectures mentionnées, soient démontrées à plus ou moins long terme rendant ainsi le rôle de la société mineur. La difficulté intrinsèque de la dernière nous amène à immerger ce problème dans la société car l’une des raisons pour lesquelles la conjecture de Riemann ne soit finalement pas démontrée c’est qu’il n’y ait plus de chercheurs à tenter de la démontrer. En réalité plusieurs raisons vont dans ce sens. Tout d’abord l’évolution dramatique des programmes qui retardent considérablement le contact des étudiants avec des difficultés de ce genre, ensuite la modification du spectre de recrutement enfin les intérêts mêmes de la société. Nombreux sont ceux à penser que le XXème siècle sera celui de l’informatique et de la biologie aussi même si les mathématiques restent au centre de cette recherche, il n’en demeure pas moins que leur activité propre sera grandement diminuée. Car même si les mathématiques sont appliquées à ces domaines, il n’y a aucune raison que des chercheurs s’intéressent à des questions fondamentales si elles ne sont plus du tout financées par la société. Il ne faudrait pas pour autant en conclure que nous avons une vision pessimiste du futur des mathématiques car après tout elles ne seront que ce l’évolution voudra qu’elles soient. En d’autres termes, leurs préoccupations seront peut-être tellement modifiées que la conjecture de Riemann ne sera qu’une curiosité parmi d’autres. Dès à présent d’ailleurs où la nécessité des codes engendre l’étude intensive de grands nombres premiers, les travaux mathématiques ne vont pas dans le sens de leur distribution mais de leur propriété spécifique. Et il en est de même pour de nombreux théorèmes qui ne sont finalement intéressants que pour un spécialiste d’histoire des sciences. L’évolution des mathématiques n’est ni linéaire, ni véritablement formalisable aussi nous ne devrons être surpris ni par l’explosion de leur ramification ni par la création de branches mortes car c’est le propre de l’évolution de la pensée.