612 - Sur la notion de champ en physique

N. Lygeros

En introduisant la notion de masse ponctuelle en physique, Newton était conscient d’apporter avec celle-ci toute une série de problèmes ontologiques. Cependant, du moins dans un premier temps, l’essentiel c’était de pouvoir résoudre des problèmes sur le plan pratique et ce de manière efficace. La simplification apportée par la notion de barycentre afin de permettre d’utiliser la notion de masse ponctuelle est fondamentale. Car elle permet de ramener un problème de taille à un problème de point. Elle sous-entend qu’il existe un isomorphisme cognitif entre les deux afin d’exploiter les résultats obtenus dans un cadre, dans l’autre cadre. Elle implique aussi la disparition de la continuité et des problèmes qui lui sont associés dans un espace multi-dimensionnel ; fait qui n’est pas négatif en soi comme nous le verrons par la suite. Cependant elle rend nécessaire l’utilisation de densités infinies. Il est vrai que celles-ci peuvent être traitées à la manière de la fonction de Dirac comme des distributions même si cela était impossible à l’époque de leur introduction. En revanche l’exploitation de la notion de masse ponctuelle s’appuie et ce, de manière fondamentale, sur celle d’action à distance. En effet, en réduisant la masse étendue à une masse ponctuelle, les masses en contact se retrouvent à une distance qui exclut tout contact. Ainsi l’action à distance est nécessaire. Pour pallier à cela, à la suite des travaux d’Einstein, les spécialistes ont introduit la notion de champ. Plus précisément, Einstein en considérant que l’espace-temps est une variété pseudo-riemanienne à quatre dimensions, a permis d’éviter l’action à distance puisqu’il exploite la structure géométrique comme substrat de base à la physique. Cette fois le champ est partout puisque l’espace est partout et même s’il ne s’étend pas à l’infini, il est présent sur l’ensemble de la variété pseudo-riemanienne. Ainsi cette fois, le principe de base sur lequel s’applique la notion de champ, c’est celle de continuité. C’est pour cette raison que nous parlons de continuum de l’espace-temps. Seulement si nous ne regardons que la partie spatiale de celui-ci, il est évident que nous pouvons y inclure l’espace R3. Dans le cas général, même si c’est au prix d’une déformation conforme. Ainsi nous ne pouvons exclure l’apparition de problèmes de type paradoxe de Banach-Tarski, ce qui rend incohérent le système quant à la notion de masse. Ainsi la continuité du champ pose un problème crucial puisqu’il s’applique à un espace a priori continu. Une manière artificielle de parer à cette critique c’est de faire disparaître toute notion de masse et de ne parler plus que de champ comme dans la théorie associée ou celle de la théorie quantique des champs. Pourtant même de cette manière tous les problèmes ne sont pas résolus en particulier si nous considérons le domaine de la chromodynamique quantique. De manière plus générale, l’action simultanée d’interactions fortes et faibles dans un cadre non-unifié pose des problèmes insurmontables si l’on se restreint à la notion de champ qui est basée sur la continuité. L’autre problème fondamental, c’est que dès que nous passons sous la longueur de Planck, la réalité physique perd son sens. C’est pour l’ensemble de ces raisons que la notion de champ est désormais considérée comme une étape intermédiaire. En effet la discrétisation de l’espace mais aussi celle du temps semble nécessaire. Dans ce cadre, nous perdons toute notion de masse ponctuelle et de continuité. Les particules sont nécessairement une étendue non réduite à un point. Et c’est dans ce nouveau cadre théorique que sont nées les différentes théories des supercordes avant d’être unifiées par les travaux de Witten sur la matrice M. Ainsi l’introduction du champ en physique peut-être considérée désormais comme une méthodologie sans doute efficace dans un premier temps mais ad hoc sur le fond.