616 - De la vie misérable à l’axiologie de l’existence

N. Lygeros

Même lorsque nous luttons quotidiennement pour des causes que nous considérons comme nobles, il est pour ainsi dire impossible de ne pas être submergé par un flux empathique lorsque nous rencontrons des personnes qui n’existent qu’à travers une vie misérable. A cet instant, il ne s’agit plus de bio-éthique ni même d’éthique, tout n’est que compassion. Comme si le cerveau refusait d’analyser la situation tellement il se sent submergé par une émotion insoutenable. Sans doute, ce qui blesse le plus, c’est que le quotidien de ces personnes n’est pas humain. Ceux qui s’occupent d’eux sont de bonne volonté et ils s’attachent à leur rendre plus simple la vie. Cependant, le véritable problème n’est pas de la rendre plus simple mais de la rendre plus vivable : en d’autres termes, qu’elle soit encore ce que nous nommons vie, non une vie misérable ni une existence de pacotille mais une vie humaine. Autant il est difficile de se représenter concrètement ce que peut signifier cette vie, autant il est difficile non de la supporter mais de la vivre. Chaque instant de cette vie, c’est un combat jusqu’à ce que mort s’en suive. Chaque morceau de vie est conquis par la force non de caractère mais d’âme. Cette âme prisonnière d’un corps qui ne veut, qui ne peut la servir à l’instar d’une armure d’un autre temps. Ces hommes et ces femmes vivent en sursis à la merci de tous. Indifférenciés par la misère de leur existence, indifférents à l’existence de la misère, ils traversent nos vies invisibles à nos yeux comme pour ne pas blesser notre regard compatissant, comme s’ils craignaient de nous faire souffrir par leur existence. Ils n’ont rien demandé pour exister, ils ne demandent rien pour vivre aussi c’est à nous de leur offrir la seule chose que nous avons, ni notre existence, ni notre vie juste l’humanité qui nous caractérise. Car ce sont eux qui sont les seuls vrais juges de ce que nous sommes. C’est dans la misère de leur vie que se trouve l’axiologie de notre existence.