730 - Sur la structure profonde du cubisme

N. Lygeros

Il s’agit d’un truisme que de considérer le cubisme comme l’un des mouvements artistiques les plus féconds dans le domaine de la peinture, mais aussi comme l’un de ceux qui ont le plus influencé l’art dans sa création et son rapport avec le monde. Il est évident que du point de vue historique, Cézanne, Derain et Matisse sont les prédécesseurs incontestés de ce mouvement. Pourtant la rupture apportée par Picasso et Braque est d’un tout autre ordre sur le plan de la transformation mentale qu’opère l’art sur le monde. Il est vrai qu’il faut aussi ajouter l’apport de Gris et de Léger, seulement la structure profonde est déjà présente chez les initiateurs de ce mouvement. Nous pouvons certes discerner à travers l’idéologie prônée par Cézanne, une sorte de retour aux idées de Platon, mais ce serait réduire le cubisme car dans cette réduction il n’existe pas de caractère polytopique alors que ce dernier est un élément fondamental de la structure profonde du cubisme. De plus toute la recherche effectuée autour de thématiques relativement simples comme les objets quotidiens et les sens, a permis de révéler de manière encore plus flagrante la complexité cachée dans les possibilités cognitives de notre représentation de l’essence.

Dans sa première phase, le cubisme est avant tout analytique. Il opère une abduction abstraite sur la réalité quotidienne afin de mettre en évidence, les substructures de l’objet considéré. Cette phase représente déjà une interprétation innovante du concret puisque l’abstrait est pour ainsi dire désenclencher de celui-ci. Dans sa seconde phase, le cubisme synthétise. Cette fois, le point de départ n’est pas le quotidien mais la structure géométrique. Le quotidien est tout d’abord fragmenté et rendu méconnaissable afin d’être exploité comme matériau de base. Il est désormais le substrat mais non l’essentiel. Et les formes géométriques obtenues grâce à leur abstraction, une fois assemblées et synthétisées parviennent à transformer le matériau en art. La perte du caractère quotidien via la tranformation et la synthèse, modifie le statut de l’objet. L’objet devient sujet via la recherche du cubisme. De plus, ce dernier grâce à son caractère noétique aborde aussi la notion de point de vue. L’objet est observé par un observateur omnipotent et omniprésent. Le cubisme en brisant les fondements de l’intérieur et de l’extérieur, donne une nouvelle dimension à l’objet et le transforme ainsi en oeuvre. Cet aspetct physique permet aussi de surpasser et de maîtriser le problème des dimensions puisqu’il offre la possibilité de synthétiser l’ensemble des dimensions sur le même plan comme si ce dernier était projectif. La richesse du plan pictural est obtenu par la possibilité d’éclairer la dimensionnalité de l’objet. Les dimensions cachées de l’objet sont repliées sur elles-mêmes, mais elles sont visibles dans l’oeuvre à partir de l’entité qu’elles constituent. C’est cette capacité qui caractérise le cubisme et c’est en ce sens qu’il représente une abduction créative du point de vue structurel. Certains critiques ne voient dans le cubisme qu’un moment du passé comme un autre qui a eu son heure de gloire et aussi ses contributions en matière d’innovations artistiques. Cependant, le cubisme est bien plus que cela puisque son schéma mental est un véritable paradigme au sens de Lakatos et une véritable théorie au sens de Popper. La structure profonde du cubisme qui n’a pour ainsi dire rien d’artistique est un modèle cognitif puissant qui obéit aux règles de la théorie des schémas mentaux. Elle s’applique à d’autres structures extérieures au domaine artistique, comme la linguistique, par exemple. Nous la retrouverons aussi avec les variétés à forte multiplicité. Mais c’est sans doute dans le traitement de l’information effectuée par les réseaux neuronaux que nous trouvons son plus proche équivalent. Via la granularité du réseau, nous voyons la fragmentation cubiste et via les processus parallèles, l’esprit de synthèse du cubisme. cette similarité qui s’explique par l’aspect néotique du cubisme amène à se poser la question suivante : quid du cubisme s’il avait èmergé à l’époque de l’informatique et en particulier celle de l’intelligence artificielle ? Car après la société de l’esprit de Minsky et la vision robotique de Brooks comment ne pas voir dans le cubisme, un formalisme intellectuel précurseur de ces mentalités. Ainsi le cubisme bien plus qu’un mouvement artistique représente une mentation dont les extensions scientifiques, à partir de l’entité cognitive, restent encore à explorer avec un regard décontextualisé.