957 - Sur la codification et la spécialisation

N. Lygeros

Un problème générique que nous avons en théorie de l’information c’est celui de la transmission d’une information donnée avec le moindre coût possible. Une manière de procéder, c’est d’éliminer les parties redondantes ou au moins les compresser afin de produire un code irréductible i.e. le plus compact possible. Ce schéma mental explique naturellement l’apparition d’un langage technique dans les branches spécialisées du savoir. En effet chaque groupe de personnes travaillant dans le même domaine est à peu à peu conduit à inventer un vocabulaire spécifique afin d’éviter les répétitions et les redondances ainsi que les confusions. Ce point de vue est évidemment optimal dans chacun de ces groupes. Cependant quid du problème initial lorsque nous désirons un échange d’informations intergroupes ? Dans ce cas la technicité du vocabulaire de chacun représente une difficulté mentale et rend nécessaire l’intervention d’une traduction. Celle-ci est nécessaire car il faut décompresser l’information afin d’expliciter les mots usuels utilisés pour la coder et d’autre part pour trouver les équivalents techniques. Ainsi l’optimisation effectuée localement au sein de chaque groupe a un coût lorsqu’il s’agit de transmettre l’information au niveau global. La complexité de la tâche se déplace à l’extérieur des systèmes locaux pour se placer sur le réseau. De la même manière ce réseau peut lui-même se spécialiser en codifiant à nouveau ses traductions. Cette situation est clairement vécue par tous les professionnels de la traduction ou de l’interprétariat puisqu’il s’agit cette fois de mettre en place un métalangage. C’est d’ailleurs un principe que nous retrouvons dans l’évolution des langues lorsqu’elles perdent leur flexion. En effet la flexion est consacrée au mot et ce dernier par la force des choses est changé de sens ainsi sa position dans la phrase n’est pas très importante si ce n’est pour des raisons poétiques. En tout cas elle est considérablement moins importante que lorsqu’il s’agit d’une phrase qui appartient à une langue dépourvue de flexion. Car dans ce cas la complexité du mot a été transmise à la phrase. Le paradoxe provient du fait que l’encryption semble aller dans le sens de l’analyse rétrograde puisqu’elle revient à concentrer l’information non seulement sur les mots mais sur le codage des lettres et donc d’une certaine manière spécialiser la structure de la phrase. Ainsi la codification et la spécialisation semblent proches comme procédures pour économiser le coût de la transmission même si l’une peut engendrer des problèmes à l’autre. Dans les deux cas, nous allons à l’encontre du développement de la pensée qui représente nécessairement un coût ainsi que de l’évolution. Sauf si les concepts sont complets et non perfectibles, leur transmission en tant qu’information et connaissance a un coût qui semble incompressible. Comme si la compréhension nécessaire devait décompresser l’information compressée car comprise. Cette complémentarité explique de plus la plus grande complexité du déchiffrement relativement au code et à la spécialisation puisque le déchiffreur ne connaît ni le code initial ni la spécialisation.