989 - Déportation et exportation

N. Lygeros

Dans un pays comme la France, dont le peuple a connu la déportation, il est surprenant de constater avec quelle facilité certaines personnes oublient les évènements du passé pour ne parler que d’un présent qui est privé de futur. Comme si la notion de déportation ne pouvait s’exporter, comme si elle était confinée à un passé que l’on désire oublier pour se perdre dans la quotidienneté d’une vie qu’intellectuellement nous ne pouvons qualifier que de misérable.

A l’heure où la France entière s’apprête à fêter l’armistice et via ce dernier, se souvenir de l’ensemble des souffrances supportées par les hommes et les femmes d’antan, il est pour ainsi dire choquant que certains parmi nous soient prêts à oublier les souffrances subies par d’autres peuples. Nous parlons timidement de négociations alors que ces peuples meurtris ne peuvent y voir qu’une forme plus aseptisée de collaboration. Il est inadmissible dans un pays démocratique, qui a reconnu en 2001 le génocide arménien de 1915, de voir des personnes d’une part muettes et d’autre part injustes de tenter de donner un accord de principe afin de respecter les droits de l’homme à un pays qui non seulement ne veut pas reconnaître l’évidence mais ose remette en question l’histoire.

Dans un territoire qui a été occupé et qui a connu les malheurs de l’occupation, on se dit que certains d’entre nous ont décidément la mémoire un peu courte. Car dans ce cas que signifient l’ensemble des monuments qui parsèment notre pays si nous en avons oublié l’esprit.

Comment ne pas regretter que l’esprit de résistance qui a sauvé notre pays de la catastrophe il y a soixante ans soit si rare à un moment où l’Union européenne en a grandement besoin pour établir avec assurance son éthique sur le plan des droits de l’homme. Tandis qu’une poignée d’hommes a réussi à lutter non seulement contre l’occupant mais aussi l’inertie des siens, afin que ce pays soit libre, à présent que nous disposons d’une véritable infrastructure et organisation qui permet d’affirmer notre volonté, nous sommes prêts à mettre de côté les souffrances d’hommes et de femmes originaires de pays qui ont des blessures ouvertes. Il ne s’agit pas de détails diplomatiques mais du sens de l’humanité car la reconnaissance d’un génocide est une nécessité pour l’existence de celle-ci. Sans cela l’éthique humaine n’est qu’un phénomène local.

C’est l’ensemble de ces questions et en particulier notre vote dans la reconnaissance du génocide arménien que nous devrions avoir à l’esprit au moment où nous nous décidons à traverser ce changement de phase critique qui caractérisera l’Union européenne pour le siècle à venir.