172 - Mise en scène des Justes d’Albert Camus
N. Lygeros
Albert Camus n’était pas fait pour écrire sur un éphémère hiver. Il était l’écrivain de l’éternel été. Celui dont l’écriture est claire comme l’aube, belle comme un crépuscule. Seulement, depuis 1905, Ivan Kaliayev avait pris rendez-vous, sur cette terre, avec lui. Et les Justes représentent cette rencontre mentale. Sans fioritures, sans verbiage, Albert Camus se contente de décrire l’essentiel, de peur de trahir cette cause perdue. Cette beauté en quête de pureté dont le raisonnement paraît absurde. Voilà pourquoi l’auteur du Mythe de Sisyphe ne pouvait que s’intéresser à cette révolution pour la vie, cette révolution qui donnait une chance à la vie.
Aussi les Justes ne sont pas une création ex nihilo, ni un hymne au nihilisme. Cette pièce est une recomposition pensée de la réalité, une réécriture sensible de l’histoire, d’où la volonté affichée chez Albert Camus de rendre vraisemblable ce qui est vrai. Les Justes, ces grandes ombres qui supportent le soleil de la justice, sont comme des colonnes de temples grecs. Ils sont conçus de façon à ce que leurs projections mentales apparaissent à l’oeil humain comme ils sont dans la réalité : purs, droits et inflexibles. Conscients de ne pouvoir être à la hauteur de l’idée qu’à travers leur sacrifice, ils se réalisent dans ce concept extrême. De cet ensemble se dégage une nécessité ; celle de comprendre l’humain dans ce qu’il a de plus profond. Et dans ce processus irréversible, à travers l’homme de théâtre que représente Albert Camus, apparaît la révolte du premier homme qui, grâce à sa mort, atteint l’immortalité.