3202 - Tempête de feu

N. Lygeros

Ce serait donc dans le XXe siècle qu’aurait lieu la guerre totale. Le maître du temps était déjà sur place. Il avait mis ses pièges temporels. L’histoire ne tournerait pas facilement ses pages. Les barbares étaient là eux aussi. Ils manigançaient leur plan dans le plus grand secret. Ils n’étaient pas encore devenus les assassins de la mémoire mais ils s’y préparaient activement. Pour eux toutes les mesures imaginaires ne suffiraient pas. Ils avaient déjà besoin des plus inimaginables. Et c’était contre celles-ci que devaient lutter le maître du temps et ses disciples. Pour cela le chevalier sans armure devait rencontrer le troubadour aveugle; il était le seul à pouvoir le mener dans la partie secrète du pays des massacres. Il vivait seul dans la rue morte. Ses yeux avaient vu les premiers malheurs des siens, et il les avait crevés pour supporter la vie dans la mort. Avec le temps, ses gémissements étaient devenus un chant et les siens le surnommèrent le troubadour sans savoir que c’était son ancien métier lorsqu’il rencontra pour la première fois le chevalier sans armure. Il était l’un des premiers à écrire des ballades sur l’amour courtois. Seulement ce temps était révolu depuis longtemps. Sa rencontre avec le maître du temps avait été décisive et il avait accepté de l’attendre dans le siècle des crimes. Car il ne supportait plus d’aimer l’homme comme les humanistes. Il fallait aimer l’humanité sinon quel aurait été le sens de l’homme? Seulement comment supporter l’insupportable? Comment décrire l’indicible? Le pays tout entier était en train de sombrer dans l’oubli et personne ne s’en rendait compte. Les gens de bonne foi considéraient les massacres comme des réformes. A les croire tout était réformé. Mais comment réformer les hommes? Il n’y avait qu’un seul moyen. Il fallait les exterminer. Cette approche devenait peu à peu une raison d’état. Ce dernier évoquait la sécurité comme prétexte. Il faisait régner l’ordre afin de garantir la paix. Les lettres de fer n’osaient encore écrire le cauchemar d’un esprit qui s’égarait et elles se contentaient de supporter le silence des cris. Lorsque le chevalier sans armure rencontra à nouveau le troubadour aveugle il ne put s’empêcher de crier. Son ami avait la tête plantée sur un pieu. Son corps avait littéralement été broyé par une milice secrète. Les yeux clos, il attendait son ami comme il l’avait promis. Il n’avait rien révélé sur lui malgré les tortures inhumaines qu’il avait subies. Lassé par son incompréhensible résistance, la milice lui avait tranché la tête au vu et au su de tout le monde. Le maître du temps arracha le pieu et détacha la tête de son ami. Il lui baisa le front comme dans le temps. Il gravît la butte qui se trouvait au dessus du quartier. Il creusa à mains nues le sol jusqu’à ce qu’il pût placer la tête de son ami. La barbarie avait voulu en faire un exemple. Seulement cet exemple serait celui de la résistance. Son ami avait son corps dans sa terre et il contemplerait ses montagnes jusqu’à ce qu’elles fussent libérées. Ainsi commença la tempête de feu.