410 - Le soupir d’une lueur sans espoir

N. Lygeros

Sur le pas de la porte, on aperçoit deux hommes, brisés par la souffrance. Les jeunes femmes sont pendues à leur cou et leur joie respective forme un contraste saisissant avec la lassitude des hommes. Thanassis et Athéna se tiennent un peu à l’écart. Puis Athéna lui prend la main et l’amène auprès de Kyriakos et Sotiris qui se sont libérés de l’étreinte d’Anna et de Soula. Il les embrasse tous les deux. Le trio d’hommes en larmes est entouré par celui des femmes qui demeurent perplexes. Deux mondes coexistent dans la même réalité : la souffrance de l’existence et la joie de l’insouciance. Seule Athéna a conscience de l’autre monde…

Kyriakos, à Thanassis.

Nous serions déjà morts sans ton intervention…

Sotiris

Tu nous as ramené de l’enfer…

Thanassis

L’enfer n’a pas de porte… Silence.

Soula

C’est si bon de vous revoir… Un temps. Nous comptions les jours…

Kyriakos, en regardant Sotiris.

Nous vivions dans la nuit…

Sotiris, en regardant Thanassis.

Nous étions dans la même cellule que…

Thanassis, en le coupant.

Je le sais… Ce n’est pas le moment…

Sotiris, incapable d’arrêter.

Il y avait du sang de partout… Un temps. Ils nous ont dit que c’était son…

Thanassis, en le prenant par l’épaule. Sur un ton ferme.

Vous n’êtes plus seuls… Viens t’asseoir !

Il le fait s’asseoir sur la chaise la plus proche et reste derrière lui.

Sotiris, las.

Je suis si heureux de vous voir…

Ils le rejoignent tous et Anna s’assoit à ses côtés.

Anna, en tenant le bras droit.

Bienvenu chez toi !

Kyriakos se tient à présent derrière Anna.

Sotiris, en posant son autre main sur celle d’Anna.

Merci… Son absence semble totale.

Kyriakos, en tenant Anna par les épaules.

Il n’a cessé de parler de toi…

Anna se penche et baise la main de Sotiris.

Anna

Mon âme…

Thanassis

Soula, cette fois c’est le moment de trinquer !

Soula sans rien dire s’empresse de remplir les verres de chacun.

Athéna, qui a pris place à côté de la chaise de Kyriakos en levant son verre.

A la santé des hommes !

Thanassis et Kyriakos prennent place à leur tour. Ils sont tous debout à présent. Les verres s’entrechoquent pour briser le sort qui s’est acharné sur eux…

Thanassis, en s’asseyant, il est suivi de tous les autres.

Mangeons, mes amis…

Pendant la scène, tout le monde se sert et mange.

Kyriakos, à Anna.

C’est la recette de ta mère, n’est-ce pas ?

Anna, en serrant Sotiris qui demeure absent.

Depuis votre “départ”‘, elle en a préparé tous les jours… Un temps. C’était pour conjurer le mauvais sort…

Kyriakos

Cela semble si simple de vivre lorsque nous sommes tous ensemble…

Sotiris, en poursuivant sa phrase.

…dans notre solitude !

Soula

Ici, nous partageons même la solitude…

Sotiris

On ne partage que ce que l’on connait… Un temps. Sais-tu ce qu’ils ont fait aux enfants ?

Kyriakos

Sotiri, calme-toi !

Sotiris

Mais pourquoi ? Elle désire bien tout partager, non ?

Kyriakos

Non, pas cela !

Sotiris, agacé.

Quoi alors ? Seulement la joie de vivre ? Un temps. Je ne connais plus cette joie…

Anna

Mais pourquoi, mon amour ?

Sotiris

En prison, j’ai rencontré le monde de la souffrance… Un temps. Nous étions au bord du temps et pourtant j’ai compris que je n’atteindrai jamais l’horizon de sa solitude…

Soula

La solitude de qui ? Un temps. A moins que tu ne parles de…

Athéna

Thanassis a raison, ce n’est pas le moment… Silence. Aujourd’hui, nous sommes heureux…

Sotiris

Qui a décidé de cela ?

Thanassis

Le passé !

Soula

Le passé ?

Thanassis

Oui, celui que vous n’avez pas vu mourir pour engendrer le présent !

Sotiris

Alors, Thanassi, partage ce passé avec nous…

Kyriakos

Chacun de nous ne cesse de penser à cela… Un temps. Alors que toi tu l’as vécu…

Thanassis

Je n’ai vécu que la mort !

Soula

Comment peut-on vivre la mort ?

Thanassis

Par le sacrifice !

Sotiris

Mais toute la vie ne peut être un sacrifice !

Thanassis

Toutes, non ! Un temps. Seulement certaines !

Kyriakos, pensif.

C’est à celles-ci que nous devons la vie…

Soula

Mais c’est absurde ! Comment croire cela ?

Thanassis

La connaissance de l’absurde n’est que le début… Ensuite vient la conscience de la mort… Puis la nécessité de vivre… Afin de mourir pour les autres… Silence.