368 - L’espace d’un instant
N. Lygeros
Tout se déroule dans une petite pièce. L’ambiance de celle-ci est chaude malgré son apparente pauvreté. Un homme seul, est assis à une table. Il mange silencieusement. Son visage porte la marque de la tristesse. Il semble avoir accepté son sort. Il se dégage de ses gestes une certaine sympathie sans pour autant que la raison soit évidente. Silence. Une jeune femme fait irruption dans la pièce….
Athéna, en se dirigeant vers le jeune homme qui n’a pas levé les yeux.
Comment peux-tu manger? Un temps. Es-tu inconscient?
Sotiris
Que pourrais-je faire d’autre?
Athéna, surprise par sa réponse.
Je ne sais pas…
Sotiris
Le malheur ne nourrit pas son homme… Un temps. Lui aussi, il aimait cette soupe…
Athéna
Je le sais… Plus calme, en s’approchant de lui. Après tout, tu as raison…
Sotiris
Le repas, c’est la mémoire des pauvres… Il ne nous reste plus que cela…
Athéna
Tu n’as pas le droit de me dire cela…
Sotiris
Mais pourquoi ? Un temps. Un jour, nous sommes allés dans mon village et c’est ma mère qui nous avait préparé le petit déjeuner. Je me souviens de son sourire en partageant le pain. Silence.
Athéna
C’est donc toi qui lui as montré le village de Potamia.
Sotiris, comme s’il se sentait coupable
Il ne fallait pas ?
Athéna
Non, non, tu as bien fait. Un temps. Raconte moi, votre visite.
Sotiris
C’était un matin d’hiver… La jeune femme s’assoit à ses cotés. Le ciel était clair et le soleil avait changé la couleur du paysage.
Athéna, pensive
La couleur ne provenait pas du soleil…
Sotiris
Nous avons marché le long des ruelles au milieu des vestiges du passé…
Athéna
Comment était-il ?
Sotiris
Sa tristesse était immense…
Athéna, dans un cri
Alors pourquoi l’avoir emmené à cet endroit.
Sotiris
Il voulait connaître mon passé. Un temps. En regardant l’espace, il vivait dans le temps…
Athéna
L’espace d’un instant était suffisant pour lui… Un temps. Etes-vous allés dans l’église ?
Sotiris
Oui, ce fut le moment le plus pénible pour lui.
Athéna
Tu n’aurais pas du… Silence.
Sotiris
En pénétrant dans l’église le temps changea de sens… Un temps. J’ai eu l’impréstion de plonger dans mon passé… Il semblait le connaître comme s’il l’avait vécu.
Athéna
Mais c’est impossible.
Sotiris
C’est pourtant la réalité !
Athéna
A-t-il regardé les fresques byzantines ?
Sotiris
Oui, dès que nous avons franchi le seuil…
Athéna
Alors il savait… Silence.
Sotiris
Il naissait avec… Un temps. Chaque détail du paysage, chaque blessure du village était une trace…
Athéna
Comme s’il reconstruisait le passé.
Sotiris
Sa pensée a retrouvé les souvenirs de ma mère…
Athéna
Sa capacité empathique…
Sotiris
Mais il connaissait à peine ma mère. Elle ne représentait rien pour lui.
Athéna
Elle était comme les autres. Tout aussi importante…
Sotiris
Pour quelle raison ?
Athéna
Elle appartient à un peuple opprimé. Elle était un morceau de sa mémoire.
Sotiris
Il était pourtant étranger à notre histoire.
Athéna
Elle appartient à l’humanité. C’était la seule chose qui comptait pour lui.
Sotiris, pensif
Je l’ai vu dans son regard… Il l’aimait…
Athéna
Il aimait tous les hommes sans exception.
Sotiris
C’était un homme d’exception.
Athéna
Non, un homme seulement, juste un homme.
Sotiris
En partant du village, il avait la gorge nouée, le coeur serré.
Athéna
Son esprit avait gravé notre mémoire.
Sotiris
Au milieu de nos vestiges, une nouvelle pensée est née.
Athéna
Une nouvelle souffrance a vecu.
Sotiris
Une vie nouvelle.
Athéna
Il a changé de forme à nouveau… Elle se penche vers le jeune homme. Celui-ci lui tend une assiette et elle se sert. Ils partagent les mêmes souvenirs à présent: la même mémoire.