409 - La ballade des hommes sans passé
N. Lygeros
Dans une petite salle à manger, trois femmes s’affairent pour apporter de petits plats sur une table centrale. Elles se préparent comme si c’était une fête mais elles semblent tendues. Incapables de prévoir le futur, elles envisagent le pire sans oser se le dire. En fond sonore, on entend une musique traditionnelle dont les paroles narrent un exploit et un sacrifice d’antan…
Soula
Pourquoi cette musique ?
Elle repart chercher deux autres plats.
Anna, en arrivant
Aucune autre ne conviendrait…
Elle est suivie d’Athéna.
Athéna
Seule la musique peut emplir le silence de notre histoire…
Elle repart elle aussi en croisant Soula.
Soula
Mais ces paroles sont si dures…
Anna
Elles sont emportées par le flot de la musique.
Athéna
Cette même musique qui les a transporté durant tant des générations, les cache dans ces notes… Un temps. En écoutant la musique, nous entendons le passé.
Soula
Je ne veux pas vivre ce passé…
Anna
Notre histoire est faite de ce passé…
On entend trois coups secs…
Athéna
Je vais ouvrir…
Elle s’éloigne.
Soula, craintive.
C’est lui… Je le reconnais…
Anna s’approche d’elle.
Anna
C’est le passé qui revient…
On aperçoit Thanassis, le regard sombre… La musique s’est tue.
Athéna, en revenant.
A présent que Thanassis est là, la musique…
Thanassis
Il n’y a que vous?
Soula, en s’approchant timidement de lui.
Les autres ne devraient pas tarder…
Anna
Veux-tu te reposer ?
Elle lui indique une chaise près de la cheminée. Il ne répond pas mais va s’asseoir.
Soula, qui l’a suivi et s’est assise à côté, lui sert un verre.
Tout va bien ?
Thanassis
J’attendrai les autres pour boire…
Soula, qui repart chercher des plats.
Bien…
Elle croise Anna.
Anna, à Soula.
Il s’est passé quelque chose…
Soula, à Anna.
Je le sens mais…
Elle part à nouveau.
Athéna, en s’asseyant à côté de Thanassis.
Comment vois-tu la situation ? Un temps. Les filles s’inquiètent…
Thanassis
Elles ont tort… Silence. Cela ne changera rien ! Silence. Ils vont revenir…
Athéna, surprise.
Comment ? Silence. Je ne peux pas le croire…
Silence. Elle demeure pensive.
Thanassis
Nul ne te demande de croire… Silence. Il te suffira de voir…
On entend à présent la ballade du frère mort…
Athéna
Qui a mis cette musique ?
Soula
C’est la radio… qui comprend son erreur. Je vais l’éteindre…
Elle part.
Thanassis
Non ! Tous s’immobilisent. Reste où tu es… Silence. C’est le signe ! Silence.
Anna
Le signe ?
Soula, pensive.
Le temps des signes…
Dans la position où ils sont, ils font tous leur signe de croix.
Athéna
Ils sont libres, n’est-ce pas ?
Thanassis
Oui ! Silence. Ils sont à nouveau liés au temps…
Athéna
Alors tu savais pour eux… Elle le serre dans ses bras. Tu es terrible… Tu ne nous avais rien dit…
Thanassis
Ils sont sains et saufs… C’est la seule chose qui compte…
Soula
Ils les ont torturé…
Thanassis
Silence ! Long silence. Aucune de vous ne prononcera ce mot lorsqu’ils seront là ! C’est compris ? Elles font toutes les trois un signe de la tête. Soula, éteins la radio à présent… Sans rien dire, elle s’éloigne. Elle sourit, elle est heureuse… Anna, apporte aussi du vin… Ils auront soif…
Anna s’éloigne à son tour.
Athéna, en se penchant vers lui.
Il te manque, n’est-ce pas ? Thanassis hoche de la tête. Ce que je ne comprends pas c’est cette impression… Cette impression qu’il va nous revenir.
Une larme coule sur la joue de Thanassis. Les deux filles viennent se mettre autour d’eux. Athéna essuie la larme de Thanassis.
Anna
Toi aussi tu es heureux !
Soula
J’ai hâte de les voir !
Athéna
Vous les verrez bien à temps… Faites chauffer les plats…
Soula
Oui, oui, il faut que tout soit prêt. A Anna. Allez viens !
Elles respirent la joie.
Athéna
Combien la différence est grande ! Un temps. Tu es si seul toi aussi…
Thanassis
Jamais je ne serai seul comme il l’a été. Un temps. Et puis je vous ai avec moi…
Athéna
Nous ne sommes que trois femmes accrochées à la vie. Silence. Alors que tu vis dans la mort…
Thanassis
Si tu savais combien de temps il m’aura fallu pour comprendre ne serait-ce que des bribes de ses paroles ? Un temps. Mon Dieu, il était si seul !
Athéna
Et nous n’avions que lui…
On entend trois coups secs…