1677 - Homo novus

N. Lygeros

Une autre approche était nécessaire. La recherche locale n’avait de sens que dans une approche globale. La ville de Lyon méconnaissait l’imprimeur humaniste. Ses monuments n’étaient d’aucun secours. Les hommes étaient si rares qu’il fallait utiliser les ordinateurs pour les trouver. Délaissant un instant les traboules, l’érudit se pencha sur le réseau. Sur cette nouvelle évolution de l’imprimerie, il recherchait un homme incunable, un homme nouveau. Comme s’il était nécessaire de passer par le futur pour comprendre le passé. Il ne tarda pas à obtenir des résultats, grâce aux moteurs de recherche. Sublimé, Etienne Dolet existait au XXIème siècle à travers la mémoire des hommes. Le papier avait été plus puissant que le feu car il cachait la lumière. Seulement les informations n’étaient pas cohérentes. L’érudit remarqua de nombreuses erreurs. La désinformation était telle qu’elle mettait en doute l’existence même du personnage. Malgré tout, il découvrit des textes originaux. Seule la remontée aux sources permettait de lutter contre l’altération. Il y avait l’élan de la libre pensée cher à cet homme. De cela, il en était certain. Seulement, c’était trop tôt, bien trop tôt. Comment ce corps aurait-il pu supporter cette avancée de la pensée ? Il ne le pouvait pas. C’était en tout cas le point de vue des informations de la toile. L’étude de celle-ci, le convainquit d’une chose. Elle était détentrice de trop peu d’oeuvres. Il fallait établir le contact. Trouver les rares hommes qui se souvenaient encore de lui, malgré le temps de l’oubli, tel était le but. Il ne cherchait donc plus de textes, pas même originaux. Il examinait le nom des auteurs. C’était ainsi qu’il fit la connaissance des amis, les mêmes qui avaient fait poser la plaque au 56 de la rue Mercière. Il envoya des messages comme des bouteilles à la mer, une mer d’encre et néanmoins invisible. En attendant des réponses improbables, il entreprit la rédaction d’un dossier de notes afin de pouvoir effectuer plus aisément des recoupements. Les liens avec Rabelais semblaient amicaux. Il y trouva du respect et même une forme d’admiration. L’étude des dates de rencontres semblait prometteuse. Les contacts s’étaient multipliés et sans doute approfondis. Il hésitait malgré tout à se prononcer. Le contexte de cette amitié était si explosif que les liens ne pouvaient manquer d’avoir été tendus. Avaient-ils cédé ? Il n’osait l’imaginer. Interrompant quelque peu son travail de forçat, il se surprit lui-même en voyant sa plume écrire quelques vers. Il écrivit sur l’humanité de Lyon et sur Maistre Alcofribas Nasier. Ces vers sans prétention n’avaient pour dessein que de montrer sa détermination à ne pas les oublier. Certes en les relisant, il prit conscience que le poète avait touché un autre problème qu’il ne voulut pas se résoudre à considérer. Il devait d’abord chercher et trouver ses amis. Il allait se remettre à son travail lorsqu’il reçut un message d’un libre penseur qui répondit au même nom que l’imprimeur. Il ne voulut pas y voir un signe du destin, et il répondit sans passion mais avec sincérité. Cet homme semblait détenir des informations précieuses sur l’imprimeur humaniste. Il lui apprit l’existence non seulement d’un livre mais surtout d’un auteur spécialiste de la question. Le réseau le permettait, la rencontre aurait lieu le lendemain.