219 - Approche effective de la notion d’infini via la fonction de Ramanujan

N. Lygeros

Il peut paraître quelque peu surprenant de présenter la fonction de Ramanujan à un public appartenant à celui des classes préparatoires même si ce dernier est en mathématiques spéciales. En effet, la fonction de Ramanujan si importante dans la théorie des fonctions modulaires nécessite pour sa compréhension véritable un appareil relativement complexe en théorie des nombres. Quant à la démonstration de certaines de ses propriétés – conjecturées par Ramanujan – il est nécessaire d’utilier les travaux de Mordell et par la suite ceux de Deligne qui eux n’ont absolument rien d’élementaire.

Cependant la présentation de la fonction de Ramanujan est tout de même possible dans le cadre de l’enseignement du Calcul Formel. En effet la possibilité d’utiliser l’ordinateur permet non seulement d’effectuer des calculs complexes mais aussi la manipulation d’outils complexes.

Considérons à présent la définition formelle de la fonction de Ramanujan (forme modulaire parabolique de poids 12) donnée dans le cadre de ce cours.

sum(tau(n)*q^n, n=0…+inf) = q*prod((1-q^i)^24, i=1…+inf)

Alors le problème consiste simplement à écrire une procédure qui permette de calculer la valeur de la fonction de Ramanujan pour un n donné. Et calculer par exemple tau(31).

Si l’on ne considère pas la difficulté intrinsèque pour comprendre la définition de la fonction, l’énoncé semble banal ou du moins classique. En fait il n’en est rien car même la présence de l’exemple n’est pas due au hasard. En effet via les formules démontrées par Mordell à partir de la connaissance des valeurs prises par la fonction de Ramanujan sur les nombres premiers, il est possible de déterminer l’ensemble de ses valeurs sur les nombres entiers. D’où le choix du nombre premier pour l’exemple puisque seul un calcul direct permet de le déterminer. De plus ce choix est aussi un hommage à Srinivasa Ramanujan puisqu’il à été le premier à calculer la valeur de tau(31). Par ailleurs l’obtention de cette valeur particulière nécessite une programmation non-triviale et par conséquent la mise en évidence d’une autre propriété comme nous le verrons par la suite.

Cependant analysons tout d’abord la réaction des étudiants face à un tel énoncé. Comme nous avons proposé ce problème à trois classes de mathématiques spéciales (ce qui représente plus d’une centaine de personnes), il nous a été permis de faire une analyse sur un échantillon représentatif.

Le premier choc de la part des étudiants est dû à la présence de l’infini des deux côtés de l’égalité. Il faut dire qu’ils sont habitués à résoudre des problèmes de convergence et que cette fois ils doivent gérer une entité mathématique qui est triplement divergente i.e. tau(n) peut être positive ou négative, sa valeur absolue tend vers l’infini et sa somme globale est aussi infinie. De plus ils ont du mal à saisir cette définition globale de la fonction de Ramanujan via la somme infinie. Ce n’est qu’en considérant un exemple plus simple en utilisant cette fois les polynômes que l’on parvient à leur faire comprendre qu’il suffit de prendre en compte un produit tronqué fini pour calculer une valeur donnée de la fonction. A partir de cet instant, il est alors possible pour eux de concevoir un programme naïf qui permet de calculer les toutes premières valeurs de la fonction de Ramanujan. Pourtant même si l’on optimise les différentes étapes de cette approche, tau(31) demeure inaccessible.

Le deuxième choc provient justement de l’impossibilité d’obtenir la valeur souhaitée par cette méthode même après plusieurs minutes de calculs. Cette fois il s’agit d’analyser la faiblesse principale de la méthode alors que le programme semble optimisé en termes de syntaxe. Pour dépasser cer obstacle il est nécesaire d’étudier la gestion des calculs intermédiaires. Mais même une fois cette opération effectuée et après avoir fait remarquer que les calculs ne se font pas de manière ordonnée, aucun étudiant ne voit comment trouver l’outil mathématique qui aura une action ordonnatrice sur les calculs intermédiaires car sa découverte nécessite un raisonnement non-uniforme. En effet il s’agit d’utiliser le développement de Taylor !

L’idée de l’utilisation du développement de Taylor provient du fait que son application sur un polynôme laisse ce dernier invariant. Aussi il ne change pas sa nature mathématique même si pour le système de calcul former il est nécessaire de le convertir pour éliminer le O(x^n). Par sa nature sérielle le développement de Taylor ordonne les puissances et force le système à effectuer alors les calculs dans un certain ordre. Cette modification rend la procédure si efficace que le calcul de tau(31) devient alors immédiat.

Le schéma heuristique est donc caractérisé par ces deux phases de transformation du problème initial : la finitisation et l’ordonnancement. La première n’est possible que par la compréhension de l’aspect polysémique de la notation de l’infini et la deuxième par l’introduction du raisonnement non-uniforme. La combinaison de ceux deux phases permet d’avoir une approche effective de la notion d’infini. Par ce biais, elle met en évidence le fait que l’on puisse traiter une information infinie si elle est définie grâce à des concepts finis. Et la manipulation délicate de l’infini revient, via cette approche effective, à la structuration formelle de concepts. Ainsi ce problème sur la fonction de Ramanujan explicite un isomorphisme cognitif qui représentera dans d’autres situations analogues un schéma didactique puissant.