287 - Sur la difficulté intrinsèque de définir un concept abstrait

N. Lygeros

La terminologie d’un concept abstrait, bien que précisé par définition, bute parfois sur un problème philosophique. Il est naturel de penser que cette difficulté provient de l’absence d’utilisation de certains paramètres sémantiques qui n’ont soit pas été mis en évidence, soit insuffisamment explicités. Sans se rendre compte que cette manière d’aborder cette problématique n’est qu’un procédé fallacieux de déplacement du problème qu’il sera toujours possible d’effectuer dans ce cadre abstrait. Un autre procédé consiste à morceler la complexité du concept abstrait en différentes définitions considérées comme plus précises. Un des exemples les plus caractéristiques de cette tentative est celui de l’exploitation de Sören Kierkegaard des termes : ethisk, saedelig, moralsk. Cette deuxième approche présuppose plusieurs axiomes que nous allons tenter de faire émerger de l’analyse sémantique.

Tout d’abord, cette manière de procéder exclut la possibilité de la nécessité d’une définition holistique. Elle part donc du principe que le concept abstrait considéré est morcelable en plusieurs entités sans perdre pour autant son sens. Se pose alors la question : qu’en est-il d’un concept de type mosaïque ou puzzle dont la définition est construite sur l’assemblage d’idées, et non leur collection ? Car il est évident que ce type de concept est structurel et non quantitatif.

Ensuite, elle évacue la possibilité que le concept abstrait soit conçu comme un objet dont le noyau conserve toute la complexité. Car dans ce cadre, le noyau est pour ainsi dire équivalent au concept initial. Aussi une fois dégagé de sa gangue sémantique, par le morcellement de la procédure, il n’en demeure pas moins un concept qui ne saurait être plus clair après cette intervention sur la cellule initiale. Cette situation, contrairement à ce que nous pourrions penser, est fréquente et ce particulièrement dans les domaines formels comme les mathématiques où elle peut être plus facilement mise en évidence. Elle représente d’ailleurs une des explications de l’échec de la généralisation pour comprendre une conjecture car bien souvent nous parvenons à démontrer les généralisations sans pour autant le faire pour la conjecture initiale. L’exemple de l’hypothèse de Riemann en est un exemple caractéristique. Mais des exemples bien plus ”élémentaires” sont amplement suffisants pour saisir la difficulté intrinsèque et non artificielle de ce cas (cf. mot de Kolakoski).

Enfin, elle présuppose que cette opération est effectivement possible alors que le concept peut présenter un caractère irréductible. Aussi toute tentative de l’analyser de cette manière serait vaine. Elle ne pourrait dans le meilleur des cas que représenter une approximation de l’objet, une connaissance partielle qui par sa propre nature ne pourra reconstituer l’objet-concept initial. Il est possible de constater ceci dans la théorie des objets fractals. Si ces derniers possèdent un caractère auto-similaire, il est effectivement possible de les considérer comme l’aboutissement d’un processus simple qui consiste en l’application d’un générateur sur une base. Dans le cas contraire, l’objet fractal ne peut se définir que par lui-même et ce, de manière globale. Il en est ainsi de l’ensemble de Mandelbrot. Car même si celui-ci vérifiait la conjecture de la connexité locale, son modèle abstrait ne saurait être que global, à l’instar d’un labyrinthe pincé.

Ainsi le morcellement sémantique d’un concept abstrait n’est pas adéquat dans les cas que nous venons de considérer. Malgré toute la volonté du penseur, il ne permet pas à celui-ci de préciser véritablement la nature du concept abstrait autrement qu’en le considérant comme un tout. Car même l’ensemble des parties n’est pas nécessairement équipotent au tout. Le concept n’est donc pas nécessairement complexe par la richesse de sa polysémie qui est interprétable comme un processus engendrant la confusion mais par l’assemblage que constituent ses parties qui peuvent être au demeurant extrêmement simples.