448 - Sur le schéma mental d’une démonstration à noyau

N. Lygeros

Lorsque l’on aborde pour la première fois un nouveau théorème il est par nature difficile de savoir comment appréhender sa démonstration. Dans l’enseignement comme l’on se contente d’effectuer des démonstrations automatiques dans le sens où même lorsqu’elles sont difficiles l’enseignant indique toutes les étapes pas à pas réduisant à néant toute stratégie potentielle. Cela ressemble à la visite d’un musée avec un guide. Les oeuvres sont déjà présentes. Leur découverte est une description et dans le meilleur des cas, une interprétation. Alors que la recherche mathématique pour utiliser l’image de Wiles ressemble plus à l’exploration d’un immeuble dans l’obscurité.
Cependant même dans cette image qui est certes meilleure que la précédente la pré-existence domine. Alors que dans la démonstration tout est à faire ! Dans les cas les plus fermés seuls le début et la fin sont connus. Tandis que dans les conjectures même la fin n’est pas connue. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas il s’agit de développer une dynamique dont nous ne connaissons que l´état initial et l´état final. Et même si cela est parfois suffisant qu’il existe une stratégie gagnante dans ce jeu formel cela ne nous l’indique pas forcément de manière explicite. Aussi comment appréhender un théorème dont l’énoncé est général ?

Une manière de procéder c’est de rechercher la localisation du noyau. Il est vrai que cela n’est pas toujours possible puisque le problème peut être polynucléique. Considérons tout de même le cas d’un noyau sinon unique du moins central. Pour le localiser, il peut être judicieux de rechercher une structure transversale i.e. une entité formelle qui supporte le passage aux cas supérieurs. Cette structure appartient nécessairement au noyau puisqu’elle est stable. Il est possible qu’il faille considérer certains cas sporadiques avant de pouvoir pénétrer dans le noyau de la démonstration mais cela ne remet pas en cause le caractère unifiant de la structure.

Considérons à présent un exemple concret qui rend compte en plus de la possible élémentarisation de la démonstration du théorème via la localisation de son noyau qui peut être traité de manière générique. Il s’agit du théorème suivant :

Théorème : Tout graphe complet, digraphe à 2n+1 éléments et n-régulier a une maille 3.

Le schéma mental de la démonstration s’appuie sur le noyau qui est représenté par K5. Nous avons donc : K3 (cas sporadique), K5 (cas générique), K5 inclus dans K2n+1 (noyau). K3 est évidemment réduit à la maille 3 par les conditions du théorème. Considérons à présent K5 et montrons par l’absurde que sa maille est nécessairement 3. Soit un point de K5 relié aux 4 autres par deux arêtes entrantes et sortantes. Si l’on prend un couple de points entrant et sortant par rapport au point initial alors le sens de l’arête qui les joint est obligatoire. Idem pour l’autre couple. Ainsi nous avons créé deux points de degré +2. Or il faut les relier entre eux pour engendrer un degré négatif. Absurde. De plus tout K2n+1 pour n supérieur ou égal à 2 contient K5 aussi notre raisonnement se transporte à toute la structure du théorème et nous permet de montrer sa validité. CQFD

Par cet exemple explicite, nous espérons avoir convaincu notre lectorat d’une part du caractère didactique de ce type de démonstration et d’autre part de la liberté qu’elle laisse au démonstrateur quant au choix non seulement de la méthode mais aussi du noyau de celle-ci qui ne dépend qu’indirectement du théorème.