979 - Abduction et déduction en relativité restreinte

N. Lygeros

Il existe une série de travaux qui mettent en évidence la cohérence de l’axiomatique de la théorie de la relativité restreinte. Ceux-ci jouent un double rôle. D’une part, ils démontrent a posteriori la caractère judicieux de l’approche d’Einstein et d’autre part via le formalisme employé, ils suggèrent qu’une approche complétement déductive aurait abouti à la même découverte. Ici nous voulons expliciter la différence fondamentale qui existe entre la notion de découverte et celle du résultat.
Du point de vue historique, le principe de relativité date de l’époque de Galilée. L’apport de la théorie de la relativité restreinte consiste à étendre sa validité à la lumière. Les travaux d’Einstein, Lorentz et Poincaré vont dans ce sens puisqu’ils ont mis en évidence l’invariance des équations de Maxwell sous l’action du groupe de transformations de Lorentz. Cependant Bateman et Cunningham ont montré que les équations de Maxwell sont aussi invariantes sous l’action de transformations non linéaires. Ainsi s’est posé naturellement la question de savoir quelle est la nature du groupe qui laisse invariantes les équations de Maxwell et quelle est sa relation avec le groupe de la théorie de la relativité restreinte. Et c’est Pauli qui a posé cette question. La résolution de cette question théorique est due à Carathéodory. Pour cela il a exploité les 15 générateurs infinitésimaux du groupe des transformations d’ondes sphériques mis en évidence par Bateman, en montrant qu’il n’existe pas de sous groupe propre contenant les trois translations spatiales et la transformation non linéaire temporelle. Et comme les translations appartiennent au groupe, par principe de relativité, il en a déduit que si les transformations non linéaires spatiales doivent être exclues, alors la temporelle doit l’être aussi. Ainsi toutes les transformations non linéaires doivent être exclues du groupe de la relativité restreinte aussi celui-ci réduit au groupe de Lorentz.
Nous pouvons donc dire via le résultat de Carathéodory que le raisonnement suivant aurait conduit à celui obtenu par Einstein.
Equation de Maxwell –> Groupe Invariant –> Restrinction via le principe de relativité –> Groupe de Lorentz.
Il s’agit donc d’une vision par le haut qui élimine le particulier du général. Et cette vision est valide seulement a posteriori. Car à l’époque d’Einstein excepté lui-même, personne n’avait osé effectuer l’abduction relativiste. Car même si les mathématiques suggéraient en puissance un résultat, il fallait au découvreur la volonté d’imposer son modèle à la réalité physique. La déduction était possible mais elle avait aussi besoin d’un élément non uniforme pour dépasser le dogme de la physique. L’abduction qui est un acte révolutionnaire en soi a permis à Einstein de transgresser ce dogme et de découvrir la théorie de la relativité restreinte.
Si nous pouvons qualifier Einstein de génie universel, ce n’est pas pour avoir trouvé l’unique méthode mais pour avoir osé en explorer une qui remettait en cause la vision de son époque. Que cette découverte puisse devenir par la suite un résultat ne change en rien son apport.