1002 - Quand le million mesure la souffrance
N. Lygeros
Dans sa pièce de théâtre, Henry de Montherlant fait dire au personnage de Pedro la réplique suivante : Chrétien, je dis : la destinée d’un être importe autant que la destinée d’un million d’êtres ; une âme vaut un royaume. Cet article se veut être l’expression d’une révolte à l’encontre de cette idée car sinon comment juger la nature d’un génocide.
La différence essentielle entre un génocide et un crime, c’est que le premier concerne l’Humanité tout entière tandis que le second concerne l’humanité. Nous ne pouvons pas niveler ces deux notions sinon tout serait permis sur le plan éthique. L’égalité n’appartient qu’au domaine théorique, elle n’a pas de sens dans la réalité. Un crime contre l’Humanité, n’est pas un simple crime. Il est effectué de manière officielle, il s’appuie sur un substrat racial, il est exécuté de manière politique. De plus, afin d’être effectif, le génocide doit être organisé massivement et pour cela, l’appareil de propagande est nécessaire. Car une poignée d’hommes n’est pas suffisante pour mettre en place cet instrument de l’horreur. Ainsi la différence est de taille car elle implique un impact négatif sur une proportion non négligeable de l’Humanité. Or celle-ci doit être défendue par tous les moyens car chacun de nous en dépend. Cependant elle ne dépend pas de chacun de nous. En cela elle prouve que nous ne sommes pas uniques mais essentiels à sa survie. Aussi le fait ou le principe de niveler crime et génocide est une absurdité. Et cela s’explique par le fait que les religions anciennes n’avaient pas connaissance d’un phénomène qui est celui de l’extermination massive. C’est la seule raison qui nous permette de ne pas les critiquer sur ce point. C’est aussi pour la même raison que nous pouvons accepter la phrase de la Reine morte car Henry de Montherlant a écrit ce texte avant même que le mot génocide n’apparaisse dans la langue française. Mais à notre époque, son affirmation ne tient pas et ne peut être soutenue. C’est cela que nous voulons mettre en évidence.
Même un crime, surtout s’il est passionnel, peut être compris par la justice, tandis qu’un génocide est inacceptable et ce, dans tous les cas. Et il en est de même pour l’oubli. Il n’est tolérable que lorsqu’il ne concerne pas un génocide et il est criminel si celui-ci n’a pas encore été reconnu comme tel. Car dans ce cas il s’agit d’un second génocide, il s’agit d’un génocide de la mémoire. Et si nous associons, comme il se doit, à la mémoire la part d’Humanité qui est en nous, cela revient à tenter d’assassiner l’Humanité elle-même.
C’est pour cette raison que nous considérons que le génocide de la mémoire est pire que le génocide qui est contextuel et dépendant de paramètres historiques. Le génocide de la mémoire se veut diachronique par principe. Il représente un effacement mental. Nier l’existence de millions de victimes n’est pas seulement un oubli, c’est bien un crime contre l’Humanité. Et s’il n’est que cela, c’est que nous avons déjà atteint les sommets de l’horreur avec le génocide. C’est donc pour toutes ces raisons que nous refusons que le million mesure la souffrance sans que nous ne protestions !