1069 - Sur le second degré de l’absurde

N. Lygeros

Depuis l’exploitation systématique de l’absurde par des auteurs aussi divers que Kafka, Ionesco ou Camus, celui-ci a désormais des lettres de noblesse dans le domaine de la littérature. Il n’est plus simplement l’expression d’une incompréhension mais d’un malentendu intrinsèque. À présent nous pouvons le considérer comme une conséquence d’un principe gödelien qui s’applique à toute structure dominante. Il a donc un sens plus profond et l’étendue de son second degré est beaucoup plus grande que celle du comique. L’absurde n’est pas comique en soi. Il est la représentation mentale d’une contradiction logique et dans ce sens il nécessite une deuxième lecture. À travers celle-ci nous découvrons entre autre la liberté intellectuelle envisagée par Camus mais aussi la liberté éthique de Dostoïevski. Car dans un monde où l’absurde est incorporé à tout système dogmatique, il est nécessaire d’utiliser l’intelligence humaine pour le transcender. Une conséquence de ce fait c’est l’omniprésence de l’humour paradoxal chez les intellectuels tels que Wilde. Cet humour paradoxal dans l’humour est analogue au sommeil paradoxal dans le sommeil i.e. une forme d’éveil. La capacité à gérer des évènements contradictoires et des ensembles incohérents est sans doute une des caractéristiques du second degré de l’absurde mais aussi de l’intelligence dans son ensemble. Cette capacité démultiplie l’espace de compréhension par l’activité cognitive de métaprocessus. Le premier niveau ou degré ne représente en somme qu’un substrat plus évolué que l’alphabet et le lexique de base. Ainsi que ce dernier, il n’est pas organisé et même si c’est le cas partiellement, cela ne s’effectue jamais sans l’intervention de l’élément contradictoire qui provient d’une part des énormes possibilités offertes par le langage humain et d’autre part par l’inclusion d’axiomes relativement faibles qui appartiennent à ce que nous nommons l’arithmétique. Et la combinaison des deux permet l’application du principe gödelien. Aussi l’intelligence humaine doit en tenir compte sans se restreindre à cela. Du point de vue cognitif, elle doit nécessairement évoluer dans le second degré en ayant connaissance de l’existence d’incohérences de base dans certains îlots de langage. L’accès à ces îlots s’effectue toujours de manière consciente et permet de réaliser les limites du potentiel linguistique par rapport à celui du cognitif. Ainsi le second degré de l’absurde peut être interprété comme une prise de conscience d’une part de cette faiblesse inhérente et d’autre part de la possibilité de la dépasser par des moyens extrinsèques. L’approche mentale permet d’inclure la réalité dans une noétique plus puissante en raison de la connaissance de ses faiblesses. Elle exclue donc par principe une approche globale ou programmatique et réalise ses objectifs via une vision holistique. La structure qui n’est donc pas monolithique ne peut être abordée de manière linéaire comme le prétendent les points de vue simplistes. Par conséquent la connaissance de l’importance de l’absurde permet d’établir le sens.