11504 - Dans une immense bibliothèque

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Dans une immense bibliothèque, le maître et sa disciple étudient des papyrus. Le maître lit en silence et sa disciple prend des notes.

– Maître ?
– Dis-moi, disciple…
– Ceci est le travail du silence ?
– C’est la lecture des morts.
– Et vous commencez toujours de cette façon ?
– Si tu ne lis pas les morts, tu ne peux pas écrire pour ceux qui ne sont pas nés.
– Cela je le comprends, Maître.
– Alors ?
– Alors nous, que sommes-nous ?
– Les ponts.
– Les ponts ?
– Les phares, si tu préfères.

La disciple fit une grimace caractéristique. Elle était maintenant à Alexandrie et connaissait exactement le symbolisme et l’essence du phare. Mais ce qui l’avait surprise était le mot « ponts ».

– Pourquoi des ponts ?
– Pour faire unir les berges.
– Quelles berges ?
– Le passé et l’avenir.
– Et le présent ?
– Il coule sous nos pieds.
– Et il ne nous touche pas.
– C’est cela l’idée.
– Donc, nous sommes nos livres.
– Je ne le dirais pas autrement.
– Mais vous, maître, vous n’êtes pas un livre.
– Certains doivent être des encyclopédies pour que vivent les livres.
– Et ceux qui brûlent les livres ?
– Ce sont nos ennemis.
– Les barbares.
– Ils commettent un crime contre l’humanité.
– Et ces papyrus, maître ?
– Ce sont les livres les plus anciens et il faut y faire attention comme à la prunelle de ses yeux.
– Vous avez raison, maître.
– Ici se trouve la source de notre civilisation.
– Avec vous je le ressens plus intensément.
– C’est ce qu’il faut.
– Et s’ils se perdent ?
– Il ne faut pas.
– Et si cela arrive ?
– Nous mourrons d’abord.
– Et puis ?
– Nous reviendrons pour continuer l’histoire.
– Maître, c’est pour cela que vous écrivez tant ?
– C’est pour cela que tu dois lire.
– Je lis, maître, je lis.
– Sinon, tu ne serais pas ma disciple.
– C’est vrai, et je ne le supporterais pas.
– Tu supportes, je le vois.
– Je fais ce que je peux.
– Ce n’est pas suffisant.
– Avec vous, je fais ce que je ne peux pas.
– C’est ce qu’il faut.
– Maître, m’expliquerez-vous ce texte que vous lisez ?
– Nous le faisons déjà.
– Mais vous ne m’avez pas dit un mot.
– Tout commence par le silence et surtout pour celui-ci.
– Mais pourquoi ?
– Ainsi se lit Archimède.