1163 - Notes sur la mise en scène du Tableau I

N. Lygeros

Lorsque la pièce intitulée « L’homme qui n’existait pas » débute nous ne voyons que le personnage de Lucien sans aucune autre explication quant à sa fonction pour le public. Il est le pilier de la pièce à l’instar des sept piliers de la sagesse. Il est pourtant seul. L’existence du groupe n’est pas une évidence. C’est pour cette raison que celui-ci va se construire au fur et à mesure de l’évolution de la pièce. Dans Lucien, nous devons voir les premiers éléments structurels du groupe. Il doit être serein et rassurant. Il est conscient qu’il a une mission difficile à remplir et qu’il est responsable de l’intégrité physique du groupe. Dès le bruit de porte, un geste lent et sûr de la tête doit caractériser sa nature posée. Il ne doit pas être surpris afin de jouer en contrepoint par rapport aux sentiments que ressent le public. En voyant Agnès, il doit esquisser un sourire discret même s’il ne s’éloigne pas pour autant de la table qui sert de point de référence dans ce premier tableau de la scène. Pour cette raison, il maintient une main sur la table jusqu’à ce que Agnès le rejoigne. En s’embrassant les deux personnages doivent faire naître le sentiment de la douleur. Le public doit comprendre qu’il s’est passé quelque chose de grave qui affecte Agnès, mais qui ne surprend pas tellement Lucien, comme s’il s’agissait de quelque chose d’attendu pour ce dernier. Il la réconforte via sa gestuelle mais il parle d’un autre ton. Il cherche à se situer temporellement dans l’action afin d’organiser le groupe. Via l’interrogation d’Agnès nous comprenons qu’elle n’a pas encore connaissance de l’ensemble des données, même si elle est partie en éclaireuse dans le manoir du XVIème siècle. Le dialogue qui s’instaure entre les deux doit être résolument moderne malgré les costumes de la Renaissance. Ces derniers ne doivent pas être naturels pour le public. Ils doivent même sembler artificiels et pour ainsi dire anachroniques. La venue inattendue d’Olivier doit augmenter cet effet de dyssynchronie. Olivier doit être encore plus amical avec Agnès car cela fait des siècles qu’ils ne se sont pas vus. Il respecte de manière complexe son ami Lucien. Il se met à son niveau en se penchant sur la table afin que se dégage la notion d’intimité. Il exprime ses propres inquiétudes et incompréhensions en recherchant le regard rassurant de Lucien qui est au centre du tableau. Le trio final s’organise autour de cet axe afin de mettre en évidence la structure du groupe qui s’organise de manière vivante et non linéaire dans un contexte temporel non encore explicite. Le trio doit nous faire comprendre qu’il sait plus de choses que le public sans pour autant posséder la connaissance absolue. En somme nous devons voir l’activité intellectuelle d’hommes humains.