130 - Pancalisme en Mathématiques
N. Lygeros
L’activité mentale dans la recherche mathématique (comme dans toute recherche théorique formalisable) est essentiellement constituée de deux parties : la technique et l’heuristique. La première est démonstrative et puissante, la seconde est dynamique et élégante. De manière classique, ces deux parties sont considérées comme d’importances égales. Notre position étant quelque peu différente nous allons expliciter notre point de vue.
Dans ce cadre, un des premiers exemples génériques à considérer, c’est la démonstration par récurrence. En effet c’est l’outil par excellence pour démontrer un résultat connu. Plus exactement, il s’agit d’une procédure qui permet de démontrer sans information supplémentaire. Ainsi, sur le plan cognitif, la démonstration par récurrence est statique. Et d’une certaine manière c’est cette propriété qui confère de la puissance à son caractère démonstratif. Néanmoins, nous nous devons de remarquer dès à présent que si le résultat n’est pas connu, la démonstration par récurrence malgré sa puissance est complètement inutile.
Un autre exemple générique, plus historique cette fois, est celui de la connaissance de la valeur exacte de la fonction dzeta de Riemann au point deux. La recherche de cette valeur a préoccupé de nombreux mathématiciens (parmi eux, Bernouilli) avant qu’Euler grâce à une heuristique surprenante ne parvienne à la découvrir. Strictement parlant, du point de vue technique donc, cette méthode est incorrecte car elle traite une série entière comme si c’était un polynôme. Cependant, son élégance et l’aspect génial de l’intuition d’Euler justifient à eux seuls son existence. Par ailleurs, c’est Euler lui-même qui a par la suite fait la démonstration rigoureuse de ce nouveau résultat. Aussi le technicien ou mathématicien classique peut accepter cette approche, en considérant sa première partie comme une petite incartade…
Notre position, quitte à paraître outrecuidante, est plus extrême à cet égard. L’heuristique n’a que faire de la technique pour justifier son existence : sa beauté ontologique est amplement suffisante. Et nous pouvons même surenchérir. En effet, l’idée, même originale, est acceptée par la communauté, et ce de manière relativement consensuelle lorsque sa véracité est prouvée. Cependant, en mathématiques pures cela n’est pas nécessaire, seule la consistance nous importe. Nous ne recherchons pas la reproduction des phénomènes mais la création d’entités. A la différence de la physique qui est la science du vrai, les mathématiques sont l’art du beau.